L’Escape Pump des pompiers britanniques
Le sauvetage est d’abord une initiative privée…
Après le Grand incendie de Londres en 1666, qui a détruit plus de 13 000 maisons et laissé plus de 70 000 londoniens sans domiciles, l’idée est venue Outre-Manche d’assurer les biens. Ainsi des compagnies d’assurance sont nées et les premiers contrats couvrent spécifiquement les habitations incendiées par le feu. Ce risque couvre également les maisons qui sont intentionnellement détruites, totalement ou partiellement, pour empêcher la propagation du feu dans un quartier1Ce qu’on appelait faire la part du feu, c’est à dire sacrifier une partie de ce qui est menacé par un incendie pour sauver le reste..
Afin de protéger les habitations qu’elles assurent les compagnies d’assurance ont créé leurs propres brigades d’extinction. Celles-ci se déploient lorsqu’un incendie se déclare. Mais chaque brigade n’agit que sur les biens assurés par son employeur2Des plaques métalliques, baptisées Fire Marks, marquées de l’emblème de la compagnie d’assurance étaient apposées sur la façade des bâtiments assurés pour servir de guide aux pompiers de la compagnie d’assurance.. De plus le sauvetage des personnes mis en danger par les incendies n’est pas la priorité de ces brigades qui protègent avant tout les biens matériels. Ainsi les échelles utilisées pour le sauvetage ne font pas partie de leurs équipements de lutte contre les incendies.
Cette situation perdure jusqu’au 19e siècle. L’industrialisation naissante se développe et multiplie les risques d’incendie. Les victimes sont nombreuses et la société civile s’en émeut.
En 1828 une Société se crée dans le but d’assurer un secours aux personnes mis en danger par les incendies. La Fire Escape Society, dont le financement est assuré par des dons, s’équipe d’échelles de sauvetage dites Escape ladders ou échelles d’évacuation. Celles-ci étaient placées en des points névralgiques de la ville : grandes voies de circulation, carrefours, proximités de bâtiments importants… Lorsqu’un incendie se déclare l’échelle la plus proche, montée sur quatre roues, est acheminée par un conducteur, à la force des bras, vers le sinistre pour procéder aux sauvetages. Ce placement des échelles dans des stations d’évacuation de rues, est actif pendant la nuit. Dans la journée les échelles sont remisées.
En 1836 la Fire Escape Society est absorbée par la Royal Society for Protection of Life from Fire (Société Royale pour la protection de la vie contre le feu) qui garde les mêmes objectifs.
Des échelles pour les pompiers
Les incendies devenant plus nombreux et plus importants, les brigades d’extinction des compagnies d’assurance commencent à s’unir. Cette fusion donne naissance, en 1833, au premier corps de pompiers municipaux de Londres, baptisé London Fire Engine Etablissement (LFEE). Son chef, nommé surintendant, est James Braidwood (1800-1861). Ce dernier rend encore compte aux compagnies d’assurance. Si les pompes à vapeur commencent à équiper les pompiers londoniens, les échelles sont encore absentes des centres mais toujours présentes la nuit dans les rues de Londres.
En 1861 le surintendant Braidwood est tué en intervention. Eyre Massey Shaw (1830-1908) lui succède à la tête de ce qui devient, en 1865, la Metropolitan Fire Brigade. Contrairement à son prédécesseur il ne rend plus compte aux compagnies d’assurance et les pompiers de Londres ne sont plus des employés de ces dernières. Shaw reprend la gestion des échelles d’évacuation des rues3La Société Royale pour la protection de la vie contre le feu poursuit toutefois son action en province jusqu’en 1881. et il introduit donc les échelles de sauvetage au départ des centres de secours (les fire stations). La Metropolitan Fire Brigade intègre les membres de la Royal Society et ses matériels.
Mais il reste encore dans Londres entre 100 et 130 stations de rues avec une échelle de sauvetage, soit plus de deux fois plus que de centres de secours ! Ce sont donc les pompiers de Londres qui assurent les permanences de nuit (un par station, parfois deux)4Ces pompiers, de garde la nuit, prenaient leur service normalement le matin suivant en centres de secours et totalisaient parfois près de 120 heures de service consécutives !. Il n’y a toujours pas de permanences de jour par manque de moyens financiers…
Des échelles sur porteurs… et plus hautes !
En 1896 le commandement est assuré par le Capitaine Lionel de Latour Wells (1859-1929). Il fait installer les échelles de sauvetage sur des charriots tractés par des chevaux. On en profite au passage pour allonger la hauteur d’atteinte de ces échelles qui passe de 50 à 75 pieds (approximativement de 15 à 22 mètres). Le concept d’échelle sur porteur apparait donc en Grande-Bretagne5Des charriots de ce type existaient déjà dans d’autres corps du pays depuis 1890..
Les échelles dédiées au sauvetage sont alors bien au départ des centres de secours, jours et nuits, avec un acheminement rapide et une vraie mobilité, un équipage suffisamment nombreux (quatre hommes) pour leur mise en œuvre… Les stations d’évacuation disséminées dans la ville disparaissent.
Un départ pour feu est alors composé de deux engins : une échelle d’évacuation hippomobile de ce type, baptisée Escape Van, et une pompe à vapeur également tractée par deux chevaux.
Le charriot porteur est plus tard aménagé en fourgon pour embarquer des matériels d’incendie et de secours. Au début des années 1900 l’engin est motorisé et l’Escape Van devient le Motor Escape Van.
Il reçoit plus tard, à partir de 1934, une pompe incendie. Cette évolution est nécessaire pour les corps du pays restreints en budget qui ne peuvent se permettre d’armer deux engins pour feux : une échelle et un fourgon avec pompe. Cet engin, regroupant les deux fonctions est baptisé Dual Purpose Combination ou Combination Appliance.
Le Pump Escape
Les grands Corps, comme celui de Londres, restent encore fidèles au couple d’engins pompe-échelle mais finissent eux aussi par converger vers l’utilisation d’un engin unique et polyvalent.
Cette configuration échelle-pompe est standardisée et prend alors l’appellation de Pump Escape (PE) qu’elle gardera jusqu’à sa disparition du service actif. La carrosserie s’arrondit et l’allure de l’engin devient emblématique des véhicules d’incendie britanniques avec, à l’arrière, les grandes roues charronnées de l’échelle en porte-à-faux.
Ainsi si pour beaucoup d’enfants l’engin emblématique des pompiers est la Grande échelle, c’est le camion avec des grandes roues à l’arrière qui a la faveur des jeunes Britanniques des années 1940, 1950 et 1960 !
Les constructeurs et équipementiers Dennis, Merryweather, Leyland, Bedford, Dodge, Austin, AEC … ont mis sur le marché ce type d’engin équipé d’une pompe, d’une réserve d’eau et d’une échelle de sauvetage. Cette dernière peut être fabriquée par Merryweather, Bailey, John Morris & Sons…
On retrouve cet engin parmi de nombreux corps de pompiers du Royaume-Uni mais aussi dans les territoires sous la dépendance de la Couronne : Ile-du-Man, Hong Kong…
Le Pump Escape pendant la Seconde guerre
A la fin des années 1930 les autorités britanniques, et en particulier le Home Office ou Ministère de l’intérieur, anticipent un renforcement du parc de matériels de lutte contre l’incendie en vue du Conflit qui s’annonce : motopompes remorquables, bateaux-pompes, engins divers… mais également tuyaux, matériels de jonction…
L’échelle de sauvetage sur roues, embarquée à bord d’un porteur, est jugée nécessaire et utile. En effet faire évoluer des engins dans les rues encombrées de gravats dus aux effondrements des structures du fait des bombardements n’est pas chose aisée. Même si des échelles pivotantes sont en service, une échelle de sauvetage sur roue peut être acheminée par un engin porteur au plus près de la zone d’intervention puis déposée et rapprochée plus facilement encore en évoluant au milieu des obstacles…
En 1939 un véhicule porteur prototype est évalué. C’est un Morris Commercial sans agrès hydraulique ou réserve d’eau. Il embarque seulement une échelle sur roues Merryweather de 15 mètres avec quelques équipements de première nécessité.
Sont alors commandés 70 engins de ce type qui sont livrés au printemps 1940. Ce sont donc de simples porteurs d’une échelle de 50 pieds (15 mètres), sans pompe, sans dévidoir et sans capacité en eau. A l’usage ces engins, baptisés Escape Carriers, se révèlent décevants et peu utiles sans potentiel hydraulique. Le Home office commande alors 150 véhicules cette fois avec réserves d’eau et dévidoirs. Toujours porteurs d’une échelle de sauvetage sur roues et tractant une motopompe, ils deviennent des Escape Carriers Units ou ECUs. Plus tard la motopompe remorquée est remplacée par une pompe Barton attelée placée à l’avant des engins. 30 véhicules simples porteurs de la première commande sont rectifiés. Au début de 1941 25 engins supplémentaires de ce type sont commandés puis à nouveau une centaine en 1942… pour atteindre le chiffre de 406 engins en mars 1943 ! Les châssis utilisés sont des Fordson, Morris, Austin, Leyland, Bedford, Ford…
Les successeurs
Dans les années 1960-70 les échelles sont fabriquées en aluminium et sont plus légères que les précédentes en bois. Un modèle à coulisse, la 135 ladder, tout à fait comparable à celui porté aujourd’hui par nos fourgons-pompes-tonnes, est normalisé avec une hauteur d’atteinte de 13.50 mètres. Cette échelle est embarquée à bord des successeurs du Pump Escape: le Pump Ladder et le Water Tender Ladder .
Beaucoup de pompiers britanniques ont regretté la disparition du Pump Escape, un agrès qu’ils appréciaient particulièrement et qui est indissociable de leur grande Histoire…
Notes
↑1 | Ce qu’on appelait faire la part du feu, c’est à dire sacrifier une partie de ce qui est menacé par un incendie pour sauver le reste. |
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↑2 | Des plaques métalliques, baptisées Fire Marks, marquées de l’emblème de la compagnie d’assurance étaient apposées sur la façade des bâtiments assurés pour servir de guide aux pompiers de la compagnie d’assurance. |
↑3 | La Société Royale pour la protection de la vie contre le feu poursuit toutefois son action en province jusqu’en 1881. |
↑4 | Ces pompiers, de garde la nuit, prenaient leur service normalement le matin suivant en centres de secours et totalisaient parfois près de 120 heures de service consécutives ! |
↑5 | Des charriots de ce type existaient déjà dans d’autres corps du pays depuis 1890. |