Les pompiers et la croix de Malte


Beaucoup de logotypes utilisés par les pompiers américains ont été conçus sur la base de ce qui ressemble à une croix de Malte (encore appelée croix de Saint-Jean). Quelle en est l’origine ? Plusieurs thèses historiques…

Insigne d'épaule des pompiers de Chicago
Insigne d'épaule des pompiers de Chicago

La croix de Malte

L’origine exacte de la croix de Malte est inconnue. Les premiers à l’adopter ont été les chevaliers chrétiens appartenant à l’ordre de Saint Jean de Jérusalem, également appelés les Hospitaliers, ou Chevaliers de Malte qui ont un siège important sur l’Île de Malte. Ils avaient combattu en Terre Sainte ou au Moyen-Orient et ils se sont donc probablement inspirés de la croix de Jérusalem, très ancien emblème des chrétiens d’Orient.

Croix de Malte
Croix de Malte

Après plusieurs représentations, cette symbologie a été fixée par l’Ordre en 1496 sous la forme d’une croix rouge à quatre branches et huit pointes.
D’autres ordres s’en sont inspirés à leur tour comme les Templiers, la couleur rouge de la croix rappelant le sang du Christ. On le sait ces ordres avaient pour mission première l’accompagnement et la protection des pèlerins en route pour Jérusalem, dans le contexte de la guerre sainte et des croisades. De ce fait ils ont combattu des guerriers musulmans qui utilisaient une arme inconnue d’eux: le feu grégeois1Cette arme avait été empruntée aux byzantins qui l’utilisaient depuis le VIIe siècle, en particulier lors de batailles navales. Ce dernier était constitué de projectiles incendiaires renfermant des matières inflammables ou divers liquides chauffés à haute température. Les textes citent la résine de pin, le naphte, la chaux vive, le soufre, le salpêtre…
Ainsi les chevaliers ont du faire face à des incendies provoqués par ces projectiles lors d’attaques directes ou lors de sièges. Ils auraient donc ainsi été parmi les premiers soldats du feu de l’Histoire ! Et les services incendies qui se constitués plus tard auraient repris la marque de ces chevaliers comme symbologie de leur fonction….
Une thèse séduisante qui plonge profondément dans l’Histoire et qui associe l’idéal du chevalier qui est de ne pas vivre pour lui-même mais de donner sa vie aux autres. Mais nulle part dans les archives historiques, dans les travaux des historiens, ni dans les traditions des Ordres eux-mêmes, on ne trouve trace d’association avec la lutte contre les incendies.

La croix de Saint-Florian

Saint-Florian
Saint-Florian

Florian de Lorch (250-304) vivait du temps de l’empereur Romain Dioclétien et occupait de hautes fonctions dans l’armée impériale. Il était aussi responsable des brigades de lutte contre les incendies.

Secrètement chrétien, à l’époque où les adaptes de cette foi étaient persécutés, il intercède auprès du quêteur en faveur de chrétiens arrêtés et condamnés. Suspecté, on lui propose alors de sacrifier aux dieux Romains. Il refuse et il est arrêté à son tour, martyrisé puis jeté dans la rivière Enns, affluent du Danube situé en Autriche. Il est canonisé en 1138 et devient Saint-Florian.

Croix de Saint-Florian
Croix de Saint-Florian

La légende nous apprend que lorsqu’il appartenait à l’armée impériale il aurait éteint un incendie en jetant sur les flammes un simple baquet d’eau. Il est d’ailleurs représenté dans cette situation ou encore en compagnie d’un ange qui déverse de l’eau sur un brasier. Il est donc resté dans l’histoire comme le protecteur contre le feu et est devenu une sorte d’assurance populaire contre les incendies et les inondations dans le monde germanophone. Dans les parties catholiques méridionales de l’Empire allemand (principalement la Bavière et l’Autriche actuelles), les paysans ont régulièrement utilisé le nom de Florian comme l’un des prénoms d’au moins un de leurs enfants mâles pour garantir le patronage du saint contre le feu.   Le Principe Florian (connu dans les régions de langue allemande sous le nom de Sankt-Florians-Prinzip) tire son nom d’une prière quelque peu ironique à saint Florian : O heiliger Sankt Florian, verschon’ mein Haus, zünd’ and’re an , équivalent à O Saint-Florian, s’il vous plaît épargnez ma maison, mettez le feu à une autre (…).

De là, il n’y avait plus qu’un pas à franchir pour faire de Saint Florian le patron universel des pompiers2Saint-Florian est aussi le Saint-patron de la Pologne et de l’Autriche. Il est devenu de fait celui de tous les métiers en lien avec le feu: les pompiers, les ramoneurs, les charbonniers, les boulangers, les brasseurs,  les vignerons, les distillateurs, les forgerons, les potiers d’étain, les potiers, les tonneliers, les savonniers…, ce qu’il est encore aujourd’hui dans le monde anglo-saxon, Sainte-Barbe étant plutôt celle des pompiers d’Europe.

Saint-Florian est fêté le 4 mai qui est aussi la journée internationale des pompiers .

La croix du Saint est proche de celle de Malte, elle en dérive même selon certains historiens. Les deux sont d’ailleurs souvent confondues mais elles présentent toutefois quelques différences. Si elles comportent chacune quatre branches et huit pointes, celle de Florian offre des formes plus arrondies et intègre un cercle en son centre.

Là encore une thèse intéressante mais l’iconographie du Saint ne semble pas faire apparaitre cette croix sauf dans des représentations contemporaines et donc avec une faible valeur historique.

Benjamin Franklin et la thèse maçonnique

Benjamin Franklin
Benjamin Franklin

La franc-maçonnerie est un espace social, sélectif en recrutant ses membres par cooptation, et qui pratique des rites initiatiques en relation avec le secret dit maçonnique.
Dans les années 1730, le Chevalier de Ramsay (1693-1743), écrivain, philosophe et franc-maçon écossais, prononce un discours, qui est devenu un des textes fondateurs de la franc-maçonnerie, dans lequel il l’associe à un ordre de chevalerie.
À côté de la symbolique proprement maçonnique, les loges vont donc utiliser une emblématique empruntée aux grands ordres européens. Aux premiers rangs desquels la croix de Malte qui, on l’a vu plus haut, apparaît comme le motif central de l’iconographie de la Chevalerie en Europe.

Benjamin Franklin (1706-1790) est un imprimeur, éditeur, écrivain, naturaliste, inventeur, abolitionniste et homme politique Américain. Il participe à la rédaction de la déclaration d’indépendance des États-Unis et il est en même un des signataires. Il est donc l’un des Pères fondateurs des États-Unis. Il fonde le premier service d’incendie, l’Union Fire Company, à Philadelphie en 1736. Une compagnie qui apportait assistance à toute la communauté et pas seulement à ses adhérents comme cela se pratiquait à l’époque.

Franklin aurait ainsi repris le symbole, devenu maçonnique et inspiré de la croix de Malte, pour en faire la base de l’emblème des services de lutte contre les incendies…

Là encore une thèse séduisante qui associe à nos sapeurs-pompiers un homme dont la vie est en grande partie caractérisée par la volonté d’aider la communauté3 Il fonde par exemple le principe des bibliothèques de prêts pour répandre la connaissance et la culture.. Mais aucun texte historique ne vient étayer cette thèse.

La croix celtique

Croix celtique
Croix celtique

Certains ont pu faire le rapprochement entre la forme de la Croix de Malte et la Croix celtique. Cette dernière, encore appelée croix nimbée, symbolise le christianisme celtique.

Rappelons nous qu’un important flux migratoire s’est mis en place entre l’Irlande, terre celte par excellence, et les États-Unis après la Grande famine de la pomme de terre vers 1840.

On connait la place qu’occupent les traditions irlandaises au sein des pompiers de New York (Kilts et cornemuses durant les cérémonies chez les pompiers de cette métropole !) du fait de la collusion des migrants avec l’organisation politique new yorkaise Tammany Hall4Nous consacrerons bientôt un dossier sur ce sujet intéressant., une organisation qui travaillait avec le Parti démocrate et qui appuyait son action politique sur les petites gens et sur une masse d’électeurs indécis fraichement débarqués.

Thèse peu convaincante car la symbologie irlandaise aux États-Unis a plutôt été la harpe. On retrouvera par exemple cette dernière dans les insignes régimentaires des unités constituées d’irlando-américains comme les 63e, 69e et 88e régiments d’infanterie de New York qui ont combattu dans l’Armée de l’Union.
De plus il existait à l’époque une prévenance des américains à l’encontre du catholicisme et donc des irlandais. Il y a a donc peu de chance qu’un symbole catholique ait pu être choisi pour représenter un service public américain.

La thèse new-yorkaise

La lutte contre les incendies au milieu du 19e siècle à New York était organisée de manière très confuse. 124 différentes compagnies de pompiers volontaires opéraient dans la ville, dont plusieurs étaient affiliées à des groupes politiques, ethniques ou à des gangs de rues. Le vol par les volontaires était fréquent durant les interventions. Les incendies criminels à but lucratif n’étaient pas rares.

La situation est devenue si critique que les compagnies d’assurance incendie, qui payaient les pertes des structures occasionnées par les incendies et les vols qu’on imputait aux intervenants, se sont plaintes auprès du gouverneur de l’État. En 1865, l’État de New York prend le contrôle de tous les services de lutte contre les incendies de la ville de New York et d’une partie de Brooklyn et a formé un service d’incendie métropolitain professionnel.

Les compagnies d’assurances souhaitaient que la direction de ce nouveau service d’incendie, baptisé Metropolitan Fire Department of New York (MFD)5Ce MFD a eu une vie relativement courte puisqu’il est devenu en 1870 le FDNY ou Fire Depatment of New York., qui avait beaucoup de mal à se mettre en place, soit confié à un militaire. Le général Alexander Shaler, un vétéran de la Guerre civile qui s’était terminée peu de temps auparavant, devient ainsi président des commissaires aux incendies en 1867. Ce dernier prend énergiquement en mains l’organisation, la logistique, la gestion des budgets…. ainsi que les questions disciplinaires.

Képi d'un soldat américain du Ve Corps, 1863
Képi d'un soldat américain du Ve Corps, 1863

Pour reconnaitre les pompiers sur les lieux des interventions, par la police par exemple, il fallait un signe d’identification. Ce dernier devait être différent de ceux utilisés par les nombreuses compagnies luttant jusque là, de manière critiquable, contre les incendies et ne devaient pas rappeler une appartenance religieuse, ethnique ou corporatiste quelconque.
Le choix s’est porté sur l’insigne militaire du Ve Corps d’armée de l’Armée de l’Union qui l’avait reçu en 1863.

En effet l’Armée de l’Union, durant la Guerre civile, souhaitait que ses différents corps d’armée puissent être rapidement identifiés sur les champs de batailles. Ainsi des signes de reconnaissance simples (rond, carré, losange…), pour être facilement et rapidement identifiés, ont été choisis, en général de couleur rouge pour leur visibilité. Ces insignes ont été hâtivement fixés sur les képis et chapeaux des combattants.

Le Ve Corps reçut donc une croix à quatre branches et huit pointes, comme la croix de Malte. C’est ce dernier qui a été choisi, après la guerre civile, pour emblème du nouveau service d’incendie de New York, les symboles des autres corps d’armée étaient déjà utilisés, sous une forme ou une autre.

Ainsi les pompiers du Metropolitan Fire Department of New York (MFD) portaient cet insigne sur la partie frontale de leur couvre-chef comme les soldats de l’Armée de l’Union.

La forme de cet insigne n’avait, à priori, rien à voir avec le symbolisme de la croix de Malte mais, même à l’époque, l’amalgame fut fait. Elisha Kinsland, ingénieur en chef du MFD, déclarait en 1867: L’appareil, une croix de Malte en métal blanc, avec les emblèmes appropriés du Département au centre, les lettres MFD et le numéro sur les points, et placé au centre de la façade de la casquette.

En quelques années, de nombreux services d’incendie de la côte Est avaient incorporé cette croix à leur tenue. Elle s’est répandue d’un océan à l’autre, a couvert l’hémisphère occidental, et même en Europe, a été identifiée comme le symbole des services d’incendie américains, associée donc au marquage FD (pour Fires Departments), accompagnée très souvent d’un poteau à incendie, d’une échelle et d’une gaffe.

C’est la thèse la plus convaincante, avec des repères historiques précis.

Conclusion

On le voit, parmi les thèses qui pourraient expliquer la symbologie, surtout anglo-saxonne, des services d’incendie, on revient souvent, pour ne pas dire toujours, à la croix de Malte.
L’idéal des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, celui des Templiers et autres ordres religieux qui font prévaloir le don de soi pour aider les autres est-il éloigné de l’engagement des pompiers de tous pays ? Les devises françaises, par exemple, Mourir en faisant son devoir6Colonel Paris, commandant le régiment de sapeurs-pompiers de Paris de 1879 à 1882, lors de son allocution en mars 1881, aux obsèques du Sapeur Havard, mort au feu des magasins ou Printemps quelques jours plus tôt., Sauver ou Périr, Courage et Dévouement ou encore les nombreuses devises des pompiers américains (By his grace we serve, Duty Honor Community…), pour ne citer qu’elles, n’auraient elles pas pu décrire tout aussi bien les engagements de la chevalerie née en l’an mil ?

Notes

Notes
1 Cette arme avait été empruntée aux byzantins qui l’utilisaient depuis le VIIe siècle, en particulier lors de batailles navales
2 Saint-Florian est aussi le Saint-patron de la Pologne et de l’Autriche. Il est devenu de fait celui de tous les métiers en lien avec le feu: les pompiers, les ramoneurs, les charbonniers, les boulangers, les brasseurs,  les vignerons, les distillateurs, les forgerons, les potiers d’étain, les potiers, les tonneliers, les savonniers…
3 Il fonde par exemple le principe des bibliothèques de prêts pour répandre la connaissance et la culture.
4 Nous consacrerons bientôt un dossier sur ce sujet intéressant.
5 Ce MFD a eu une vie relativement courte puisqu’il est devenu en 1870 le FDNY ou Fire Depatment of New York.
6 Colonel Paris, commandant le régiment de sapeurs-pompiers de Paris de 1879 à 1882, lors de son allocution en mars 1881, aux obsèques du Sapeur Havard, mort au feu des magasins ou Printemps quelques jours plus tôt.