La production de mousse physique


Mise en œuvre d'une lance à mousse
Mise en œuvre d'une lance à mousse

La mousse

La mousse est un agent extincteur couramment utilisé par les sapeurs-pompiers dans leur lutte contre les feux spéciaux. Son utilisation par épandage sur le feu génère des réactions efficaces : étouffement des flammes par privation d’oxygène, refroidissement par l’action de l’eau, rétention des vapeurs toxiques…
Cet article ne décrit pas les cas où la mousse est l’agent extincteur le plus adapté ni de son mode d’action. Ce sujets seront traités dans de prochains dossiers. Nous décrirons ci-dessous comment la mousse se forme et quels sont les moyens de la produire.

Il existe deux sortes de mousses extinctrices, la chimique et la physique. La première est un mélange en proportions définies de plusieurs produits, la seconde est une émulsion issue de l’assemblage de bulles d’air enveloppées dans une paroi aqueuse.
La mousse chimique contient un acide, une base, un produit moussant, un gaz (souvent le dioxyde de carbone ou CO2). La mousse physique, elle, contient de l’eau, de l’air et un émulseur. C’est de cette dernière que traite ce dossier.

Un peu de physico-chimie…

Dans le cas qui nous intéresse ici une mousse est un amas de bulles d’air d’air séparées les unes des autres par des parois liquides. Lorsqu’on veut en produire on a besoin d’eau et d’air. L’air est facile à trouver, il nous environne. L’eau est fournie en pression par l’engin-pompe. Mais ce n’est pas suffisant ! Il manque un troisième constituant, primordial, qui est l’agent émulseur. Ce dernier est constitué de molécules ayant une caractéristique particulière : elles sont amphiphiles. C’est à dire qu’elles sont constituées de deux parties ou pôles :

  • Une « tête » dite partie hydrophile (littéralement qui aime l’eau) à forte affinité pour l’eau, par exemple une chaine renfermant des atomes de fluor, de soufre (sulfates ou sulfonâtes), d’oxygène (carboxylates)…
  • Une « queue » dite partie hydrophobe (littéralement qui n’aime pas l’eau) qui va chercher à éviter tout contact avec l’eau avec laquelle elle n’a aucune affinité. Cette queue est en général une chaine hydrocarbonée, c’est à dire formée d’atomes de carbone et d’hydrogène (CH3(CH2)n).

Comportement de molécules amphiphiles en présence d'eau
Comportement de molécules amphiphiles en présence d'eau

Si on place ces molécules en solution dans de l’eau elles vont gagner naturellement la surface, leurs parties hydrophiles tournées vers l’eau et leurs parties hydrophobes exposées à l’air pour échapper à l’eau. Un film va ainsi se former à l’interface eau/air pour former un film. Un équilibre physico-chimique est atteint.

Si on brasse le contenu de ce récipient, les parties hydrophiles et hydrophobes vont se retrouver toutes deux en contact avec l’eau. L’équilibre obtenu ci-dessus est rompu. Pour le retrouver les molécules amphiphiles vont profiter de la création des bulles d’air due au brassage. Elles vont s’organiser pour garder leurs paries hydrophiles en contact avec l’eau et tourner leur parties hydrophobes vers l’intérieur des bulles où l’eau est absente et remplacée par de l’air.

Au final on obtient une mousse, c’est à dire un amas serré de bulles. Ces dernières sont stabilisées par la formation des micelles, c’est-à-dire ces agrégats sphéroïdaux de molécules amphiphiles décrits ci-dessus.

La production de mousse

Pour produire de la mousse nous allons donc avoir besoin d’eau, d’air et d’un liquide émulseur, c’est à dire contenant nos molécules amphiphiles, et également d’un dispositif pour mettre en présence ces constituants en les brassant de manière dynamique.
Le processus de formation se décompose donc en deux étapes successives:

  • Une formation d’un prémélange [eau + émulseur] pour obtenir une solution potentiellement moussante,
  • suivie d’un brassage avec introduction d’air et formation de bulles stabilisées.

Formation du prémélange ou solution moussante

On peut utiliser pour cela un injecteur-proportionneur. Il est  nécessaire pour injecter dans la veine d’une ligne d’eau le liquide émulseur concentré. Et on va utiliser pour cela une autre propriété de la dynamique des fluides : l’effet Venturi, du nom d’un physicien italien Giovanni Battista Venturi (1746-1822) qui l’a énoncé pour la première fois au dix-huitième siècle.

On peut énoncer cette propriété simplement : un fluide en écoulement subit une dépression là où la vitesse d’écoulement augmente. L’augmentation de cette vitesse peut être obtenue par une réduction de la section d’écoulement1 Le débit volumique Q d’un fluide est égal au produit de sa vitesse d’écoulement par la section de passage on encore Q=V.S. On voit ici que si on souhaite un débit constant Q et qu’on diminue la section S alors la vitesse V doit augmenter..

Tube de Venturi
Tube de Venturi


On considère donc un tube dans lequel circule un fluide, en l’occurrence ici de l’eau, avec un certain débit. On admet que ce débit est constant (principe de conservation du début et de l’énergie) et donc que le débit du fluide entrant est égal à celui sortant de notre tube.
Sur une certaine partie de ce tube il y a un rétrécissement, c’est-à-dire une réduction de sa section. Pour la commodité de la mise en évidence de l’effet on positionne trois manomètres pour mesurer la pression : avant le rétrécissement, au rétrécissement et après2Ces pressions sont mesurées par la charge hydrostatique nécessaire pour soulever des colonnes d’eau sur le parcours de la conduite principale..

Injecteur-proportionneur
Injecteur-proportionneur

On note que la pression au rétrécissement P2 est moins forte que P1, avant le rétrécissement, et moins forte que  P3 après3P3 est un peu moins importante que P1 car il y a une perte de charge due aux frottements du fluide circulant sur les parois du tube.. On peut parler d’une dépression et donc création d’un vide. C’est l’effet venturi. Lorsque la vitesse d’écoulement d’un fluide augmente (du fait de la réduction de la section et du maintien du débit) sa pression diminue. Si à cet endroit précis nous plaçons une arrivée de fluide, via un autre tube ou un flexible affluent, nous observerons une aspiration de ce fluide. Ce dernier est donc injecté dans le fluide circulant avec lequel il va se mélanger.

Dispositif de production de mousse à l'aide d'un injecteur-proportionneur
Dispositif de production de mousse à l'aide d'un injecteur-proportionneur

Imaginons le dispositif ci-dessus alimenté par une ligne d’eau en pression depuis un engin-pompe. Au centre de ce dispositif un rétrécissement relié à un flexible lui-même relié à une cane plongée dans un réservoir de liquide émulseur concentré. La jonction entre le tuyau et le flexible est calibrée, côté émulseur, par une buse adaptée qui va limiter l’aspiration et donc le volume d’émulseur injecté. Ce dernier varie, en général, entre 0% et 6%. En sortie on obtient donc un mélange dosé eau/émulseur. C’est une solution moussante mais pas encore de la mousse. Il manque pour cela l’introduction d’air… Ce dispositif est un injecteur-proportionneur embarqué à bord de beaucoup d’engins-pompes ou de remorques spécialisées. C’est donc une pièce de jonction à trois voies, en général en alliage d’aluminium, en bronze… avec un revêtement époxy.

Principe de fonctionnement d’un injecteur-proportionneur

Injecteur-proportionneur
Injecteur-proportionneur


1. L’injecteur-proportionneur est alimenté en eau mais pas encore mise en œuvre

  • Le proportionneur est alimenté par une ligne d’eau depuis un engin-pompe,
  • La molette de réglage est à Off et donc l’arrivée de liquide émulseur est fermée,
  • En sortie de lance n’est projetée que de l’eau, la solution moussante n’est pas formée,

2. L’injecteur-proportionneur est mis en œuvre

  • La mollette est alors réglée sur sa première graduation, par exemple pour un dosage de 1% de liquide émulseur. L’arrivée du liquide émulseur est ouverte et celui-ci est acheminé par le flexible par aspiration dans la conduite principale,
  • Le mélange eau/liquide émulseur se réalise avec un taux déterminé par le degré d’ouverture de la buse d’admission. On obtient en sortie un flux de solution moussante,
  • On observe une perte de charge due au dispositif de l’ordre de 30%.

Le dosage

L’entrée du liquide émulseur dans la veine d’eau est contrôlée par une buse positionnée au point d’injection. On peut la voir comme une bague perforée en son centre. Plus l’orifice sera important et plus le volume d’émulseur injecté sera important4Sur certains modèles on peut disposer d’un jeu de bagues et installer celle qui correspond au dosage souhaité..
Sur certains proportionneurs ce réglage est dynamique. Une molette permet de faire varier, en cours d’utilisation, le calibrage de la buse et donc le pourcentage de liquide émulseur injecté. Un clapet anti-retour permet d’éviter les remontées d’eau dans le flexible de l’émulseur.

L’adjonction d’air

Lance à mousse
Lance à mousse

La solution moussante, en sortie du proportionneur, est dirigée vers un autre tuyau lui-même connecté à une lance à mousse. C’est au niveau de cette lance que l’air va être introduit dans la solution moussante et toujours grâce à l’effet Venturi.
Un rétrécissement sur la longueur de la lance, ouvert ici non pas vers un autre tuyau mais vers l’extérieur et donc en contact avec l’air ambiant, va  provoquer l’aspiration d’air nécessaire.
Après le rétrécissement le diamètre de la lance s’élargit pour faciliter le brassage et augmenter la pression 5Nous savons depuis notre dossier sur la pompe centrifuge que lorsque le diamètre du volute du corps de pompe augmente, la vitesse de l’eau propulsée par les aubes diminue et donc sa pression augmente… .

L’injecteur en ligne intégré ou système injecteur à pression positive

Système injecteur à pression postitive
Système injecteur à pression postitive

Des fournisseurs proposent des proportionneurs intégrés. C’est-à-dire qu’une réserve de liquide émulseur est embarquée à bord de l’engin-pompe au même titre que sa tonne à eau. Ce n’est plus l’effet Venturi qui est à la base de l’injection mais une pression positive impulsée par une pompe électrique. Cette motopompe est installée sur le véhicule et est raccordée au système hydraulique et électrique de l’engin-pompe. La motopompe aspire le produit depuis le réservoir ou depuis l’extérieur et un asservissement automatique permet de doser la bonne quantité de produit dans l’eau.

L’ensemble est piloté par un microprocesseur sur lequel on intervient par un panneau de commandes de type écran tactile.

Il existe souvent une possibilité d’aspiration externe et celle de remplir le réservoir via la pompe à émulseur.

Le mécanisme de fonctionnement de la lance à mousse, et sa mise en œuvre, restent les mêmes.

Un tel système est plus rapide à mettre en œuvre, il n’augmente pas la perte de charge et permet donc des établissements de tuyaux plus importants, le rinçage est automatisé…


Notes

Notes
1 Le débit volumique Q d’un fluide est égal au produit de sa vitesse d’écoulement par la section de passage on encore Q=V.S. On voit ici que si on souhaite un débit constant Q et qu’on diminue la section S alors la vitesse V doit augmenter.
2 Ces pressions sont mesurées par la charge hydrostatique nécessaire pour soulever des colonnes d’eau sur le parcours de la conduite principale.
3 P3 est un peu moins importante que P1 car il y a une perte de charge due aux frottements du fluide circulant sur les parois du tube.
4 Sur certains modèles on peut disposer d’un jeu de bagues et installer celle qui correspond au dosage souhaité.
5 Nous savons depuis notre dossier sur la pompe centrifuge que lorsque le diamètre du volute du corps de pompe augmente, la vitesse de l’eau propulsée par les aubes diminue et donc sa pression augmente…