Les ambulances hippomobiles de l’Hôpital Bellevue de New York (1869)


Pourquoi s’intéresser particulièrement à ces ambulances mise en service par un service hospitalier en 1869 ? Tout simplement parce qu’elles ont été les premières ambulances civiles assurant un service régulier à New York, aux États-Unis et dans le Monde !

Edward Dalton

Edward Dalton (1834 – 1872)
Edward Dalton (1834 – 1872)

Edward Dalton est étudiant en médecine à New York avant de rejoindre l’armée de l’Union lors de la déclaration de la Guerre de sécession (1861 – 1865). Il est chargé de superviser les hôpitaux de campagne de l’Armée du Potomac qui ont soigné des dizaines de milliers de soldats malades et blessés.
A la fin de la guerre il est nommé superintendant du Metropolitan Board of Health, première autorité de santé publique que l’on pourrait comparer à l’Assistance publique française, fondée en 1866 sur la suggestion de l’Académie de médecine de New York. Il est recommandé pour cette fonction par le général Ulysses Grant lui même qui le qualifie de meilleur homme du pays à ce poste1He is one of the very best men in the whole country for the proposed place. The papers of Ulysses G. Grant, volume 16, Southern Illinois University Press, 1866..

Dalton et le Metropolitan Board of Health mettent en place un programme d’assainissement des quartiers insalubres de la ville, une phase de quarantaine pour les navires qui acheminent de nombreux immigrants à New York.
Mais une de ses premières grandes préoccupations de Dalton a été l’organisation des secours durant l’épidémie de choléra à New York de 1866.

Il a mis en œuvre des actions visant à limiter l’épidémie en identifiant les personnes infectées, en les isolant le plus rapidement possible en les acheminant vers des centres de soins. Le scénario était énergique ! La police était prévenue des cas de contaminations et celle-ci informait le quartier général de Dalton par télégraphe2Celui-ci se développe à partir de 1840 et sera utilisé jusqu’au milieu du XXème siècle.. Dalton, fort de son expérience militaire de traitement des blessés sur les champs de batailles, avait mis en place un système d’ambulances volantes à l’instar de celle crées par le médecin militaire français Dominique-Jean Larrey (1766 – 1842). Les malades étaient transportés rapidement vers les hôpitaux. Ils étaient ainsi isolés et recevaient le soins nécessaires. Il y eut plus de 1 000 victimes mais ce bilan aurait pu être plus lourd sans ces mesures sanitaires. Lors de l’épidémie de 1854, par exemple, il y eut plus de 2 000 victimes alors que la Ville comptait moins d’habitants qu’en 1866…

Les ambulances de l’Hôpital Bellevue

L’épidémie passée, Dalton décide de  prolonger et d’étendre  le système d’ambulance.
Un service régulier est mis en place depuis l’hôpital Bellevue, alors le plus grand hôpital de la ville, que Dalton connait bien puisqu’il y a été interne. Issu d’un hospice fondé en 1736, c’est un hôpital novateur puisqu’il mettra en service une maternité (1799), une école doctorale en lien direct avec l’hôpital (1861), une école d’infirmières (1873), une clinique pour enfants (1874), un service de médecine légale, un pavillon des urgences (1876)…

Deux ambulances de 800 livres (environ 350 kg, donc légères), fabriquées par le carrossier Abbot-Downing, sont mises en service en juin 1969.

Ce sont des fourgons hippomobiles à deux essieux, tractés par un cheval. Ils sont ouverts sur les côtés et équipés de rideaux. Ces ambulances sont armées par un conducteur et un étudiant en médecine3Après deux années d’école de médecine.. Elles sont équipées d’un brancard coulissant, d’une lampe, d’oreillers, de couvertures, de bandages, de garrots, d’une camisole de force (…) et de quelques médicaments comme de la morphine ou du nitrate d’amyle utilisé depuis peu comme vasodilatateur pour lutter contre les angines de poitrines4Sous forme d’ampoules à briser, on en imprégnait un mouchoir que l’on faisait respirer au malade.. Elles embarquent également un appareillage pour les lavages d’estomac… et une bouteille d’eau de vie ! Une partie de ces matériels est rangée dans un coffre qui sert également de siège pour le cocher. Ce dernier dispose d’une pédale qui lui permet d’actionner une clochette qui annonce son arrivée et fait dégager le passage dans les rues encombrées de la ville.

Lorsque le transport d’un malade ou d’un blessé s’avère nécessaire, l’hôpital Bellevue est informé par télégraphe. Des appareils télégraphiques sont en effet positionnées sur la voie publique. De couleur rouge ils peuvent être aussi utilisés pour alerter les sapeurs-pompiers en cas d’incendie. Ils se présentent sous le forme de boites qui s’ouvrent à l’aide d’une clef conservée par le poste de police le plus proche ou un commerçant à proximité.
Les ambulances sont prêtes à partir, avec leurs chevaux pré harnachés, stationnées dans l’écurie de l’hôpital. Leur harnais sont suspendus au plafond de l’écurie et sont descendus par des poulies, à l’instar des départs hippomobiles des pompiers new-yorkais5Les sapeurs-pompiers parisiens utilisaient le même système d’harnachement rapide des chevaux des départs hippomobiles.. Ainsi une ambulance peut quitter l’hôpital moins d’une minute après son activation.

Ce nouveau service d’ambulances ne tarda pas à montrer son utilité et son efficacité et l’année suivante cinq autres ambulances sont mises en départ.

De 1870 à 1992 plus de 1 400 départs seront enregistrés pour secourir près de  5 000 malades ou blessés !  En 1893 neuf ambulances sont en service, huit chevaux et quatre conducteurs et probablement un ou plusieurs garçons d’écurie.

Au début des années 1920 les châssis hippomobiles sont remplacés par des châssis motorisés. Les deux derniers chevaux, Joe et Jim, en service depuis vingt ans, finiront leurs jours paisiblement dans une ferme où ils n’eurent plus à travailler !

Un modèle pour la France ?

En France le Dr Henri Nachtel, lui aussi ancien chirurgien militaire, durant la guerre de 1870, membre de la Société française d’hygiène, a observé le fonctionnement de ces secours publics à New York. Il est convaincu que Paris doit suivre cet exemple. Il décrit ce service d’ambulances durant une séance à l’Académie de médecine en 1880. Sa proposition reçoit un accueil favorable même si quelques détracteurs lui opposent le cout de mise en œuvre: ambulances, cochers, garçons d’écurie… et un réseau télégraphique de trop faible densité par rapport à celui de New York6Chronique Scientifique du XIXème siècle, 29 décembre 1880..

Il plaide à nouveau pour un service d’ambulances parisien dans un livre qu’il publie en 18847L’Organisation à Paris d’ambulances urbaines analogues à celles des grandes villes d’Amérique; premiers secours aux malades et blessés tombés sur la voie publique, dans les ateliers, usines, etc., Henri Nachtel, Paris, G. Masson, 1884., préfacé par une lettre manuscrite de Victor Hugo8New York a commencé, Paris continuera… […]Je vous approuve et vous félicite, dans une lettre de Victor Hugo préfaçant l’ouvrage de Henri Nachtel.. Il est également encouragé par Louis Pasteur9Je me joins volontiers a toutes les grandes autorités dont vous me citez les noms et qui patronnent votre projet. Louis Pasteur sur une carte de visite adressée au Dr Nachtel..

En 1887 est mis en place à Paris un service de secours sur le modèle new-yorkais, depuis l’hôpital Saint-Louis, par la société privée philanthropique de Henri Nachtel, l’Œuvre des ambulances urbaines. Ces ambulances intégreront en 1895 le service municipal.

Notes

Notes
1 He is one of the very best men in the whole country for the proposed place. The papers of Ulysses G. Grant, volume 16, Southern Illinois University Press, 1866.
2 Celui-ci se développe à partir de 1840 et sera utilisé jusqu’au milieu du XXème siècle.
3 Après deux années d’école de médecine.
4 Sous forme d’ampoules à briser, on en imprégnait un mouchoir que l’on faisait respirer au malade.
5 Les sapeurs-pompiers parisiens utilisaient le même système d’harnachement rapide des chevaux des départs hippomobiles.
6 Chronique Scientifique du XIXème siècle, 29 décembre 1880.
7 L’Organisation à Paris d’ambulances urbaines analogues à celles des grandes villes d’Amérique; premiers secours aux malades et blessés tombés sur la voie publique, dans les ateliers, usines, etc., Henri Nachtel, Paris, G. Masson, 1884.
8 New York a commencé, Paris continuera… […]Je vous approuve et vous félicite, dans une lettre de Victor Hugo préfaçant l’ouvrage de Henri Nachtel.
9 Je me joins volontiers a toutes les grandes autorités dont vous me citez les noms et qui patronnent votre projet. Louis Pasteur sur une carte de visite adressée au Dr Nachtel.