Les tracteurs Berliet des pompiers de Lyon (1915 – 1973)


Les engins de sauvetage

En 1915 les sapeurs-pompiers de Lyon mettent un départ un engin de protection et de secours qui embarque, outre des équipements de protection1Les sapeurs-pompiers de Lyon ont crée en 1912, huit ans après ceux de Paris, un service de protection, un salvage corps à l’instar de ceux crées en Grande-Bretagne à la fin du siècle précédent, destiné a à assurer la protection des biens pendant les opérations d’extinction. Ceci à l’aide de bâches, d’écopes, de vides-caves, de pompes manuelles…et d’éclairage, une chèvre, un palan, un vérin, un moufle, des crics ainsi que des sangles, cordages et outils divers. C’est le carrossier lyonnais Mollaret qui aménage l’engin à partir d’un châssis Berliet CBA offert à la ville par le constructeur2Marius Berliet, fondateur de la société des Automobiles Marius Berliet, le constructeur automobile, est né à Lyon. lui aussi basé à Lyon depuis 1899. Cet engin était utilisé, entre autres fonctions, pour diverses manœuvres de forces ou de dégagement et le sauvetage de personnes et d’animaux tombés dans des excavations.
Il était équipé d’un crochet de remorquage qui lui permettait de tracter l’échelle Magirus, jusque là hippomobile, mise en service en 1896. D’un équipage de quatorze hommes il pouvait également remorquer des pompes à vapeur utilisés pour l’épuisement. Cette capacité à remorquer des agrès a valu à l’engin d’être baptisé tracteur. Il est retiré du service en 1947.

En 1923 un second Berliet est offert aux sapeurs-pompiers de Lyon, cette fois par le service de la Voirie. L’engin est réaménagé par le carrossier lyonnais Germain et Chapiron pour remplir les mêmes fonctions que le précédent tracteur. A partir de 1924 il sera chargé de tracter les deux embarcations de sauvetage du nouveau service de sauvetage fluvial créé la même année par les sapeurs-pompiers de Lyon.
En février 1925 le tracteur CBA sera engagé pour le sauvetage d’un avion militaire Breguet abimé dans la retenue d’eau du canal de Jonage à Meyzieu. C’était la première intervention du service de sauvetage fluvial des sapeurs-pompiers.

Ce second tracteur sera retiré du service, quant à lui, en 1952.

Les deux engins tracteurs sont équipés d’un signal lumineux distinguant les véhicules d’incendie et rendu obligatoire par un règlement municipal de 1919: deux feux verts latéraux et un feu rouge central.

Le Berliet CBA est équipé d’un moteur Berliet Z de 22 ch, à quatre cylindres en ligne, d’une boite à quatre vitesse et d’une transmission par chaines.

Le tracteur 34

Au début des années 1930 le trafic routier s’intensifie en Europe. Lyon, grande métropole, doit faire face à un nombre grandissant d’accidents de circulation sur ses voies publiques. De plus le tramway de Lyon est à l’apogée de son réseau (160 millions de voyageurs par an !). Ce dernier a une fâcheuse tendance à sortir de ses rails et nécessite l’intervention des sapeurs-pompiers pour le repositionner sur sa voie. Les sapeurs-pompiers de Lyon expriment donc le besoin de disposer d’un engin de halage et de dégagement de la voie publique, conçue spécifiquement pour ce type de missions et de capacité plus importante que celle des tracteurs déjà en service.
Un cahier des charges est établi en 1936 par l’État-Major de sapeurs-pompiers de Lyon et soumis à la firme Berliet.

Le châssis Torpédo retenu est le GDP. La génération GD, commercialisée à partir de 1926 et suivie de nombreuses déclinaisons, est le fer de lance de Berliet au cours de années 1930. Il est animé par un moteur à essence à six cylindres, d’une puissance de 105 ch à 2 200 tours/min, ce qui lui donne une vitesse de 65/70 km/h. Sa boite à quatre vitesses intègre un démultiplicateur. D’un poids total de près de 10 tonnes (9 600 kg) il freine sur ses quatre roues avec un blocage pneumatique. Son essieu avant est équipé de roues simples et de roues jumelées sur l’essieu arrière. L’engin est également équipé d’un blocage de différentiel3Le blocage de différentiel améliore la motricité sur les surfaces glissantes. En effet sur ce type de terrain le différentiel reporte le couple vers les roues qui présentent le moins d’adhérence. Les roues qui perdent leur adhérence tournent ainsi à la même vitesse que les autres. Le blocage de différentiel permet donc de reporter le couple vers les roues présentant le plus d’adhérence.

Son équipement spécialisé pour le levage et le dégagement est constitué d’un chèvre4La chèvre est un appareil de levage constitué poutres disposées en pyramide dans lesquelles passe une corde ou élingue manœuvrée à l’aide d’un treuil. avec treuil d’une capacité de près de sept tonnes tonnes et d’une plateforme avec un cabestan, c’est à dire un treuil à axe vertical.

Lorsqu’il est en action l’engin est immobilisé par des cales de roues et d’une béquille-bêche anti-recul située sous l’engin. Cette dernière s’abaisse pour prendre appui sur le sol et bloquer l’engin lors de manœuvres de force.

L’engin est baptisé Tracteur 34, 34 étant son numéro de matricule dans le parc de véhicules roulants des sapeurs-pompiers de Lyon. Il est mis en départ depuis le Quartier-Central, rue Corneille à Lyon.

Son moteur de propulsion est remplacé en 1958 par un autre moteur Berliet de type MKS2, toujours à essence, à six cylindres en ligne, d’une puissance de 145 ch à 2 600 tours/min.

L’engin, unique exemplaire de ce type chez les sapeurs-pompiers de France, est mis en réserve en 1973 et retiré du service en 1974. Il rejoint le Musée des sapeurs-pompiers de Lyon fondé en 1971 dans des locaux situés dans le quartier de la Duchère à Lyon. Depuis 2009, c’est le Comité d’Animation Sociale et Culturelle du Service départemental d’incendie et de secours du Rhône qui est propriétaire de la collection d’engins restaurée et conservée par le Musée.

Le tracteur CBA

Les demandes en opérations de lavage et de dégagement se multipliant, l’État-Major des sapeurs-pompiers de Lyon envisage en 1945 de mettre en service un second tracteur du type du tracteur 34. Mais au lendemain de la Seconde guerre les matériaux sont encore en pénurie et il faut renoncer au projet. Est alors décidé, avec le concours des Établissements Berliet de transformer un engin-pompe Berliet. Il s’agit du sixième et dernier fourgon-pompe sur châssis CBA acheté en 19255Il portait le matricule 22 dans le registre du parc de véhicules roulant du Corps. en remplacement d’un fourgon Delahaye 39 AP/Farcot acquis en 19106Les cinq autres fourgons-pompes Berliet ont été retirés du service entre 1949 et 1953..

La pompe à incendie est retirée et son emplacement est utilisé pour installer une chèvre et un palan, ce qui a nécessité l’installation d’une seconde boite à vitesses. L’engin reçoit des coffres de rangement de matériels supplémentaires.

Mais ce châssis reste quand même moins adapté à la manipulation de charges que la tracteur 34 et il a tendance à lever le nez lorsque celles-ci deviennent trop lourdes (il se « cabre »). Cela lui a valu le surnom de Sauterelle ! L’équipage pouvait être amené à se positionner à l’avant de l’engin pour faire contrepoids !

L’engin, qui faisait partie des deux fourgons-pompes remotorisés avec un moteur Berliet MKB 3 de 50 ch, reçoit en 1933 des roues dotées de pneumatiques à la place des roues à bandage d’origine.

L’engin est retiré du service en 1960, étant alors peu conforme aux prescriptions de la Sécurité routière. Il est vendu au constructeur Berliet qui le conserve aujourd’hui à la Fondation de l’Automobile Marius-Berliet à Lyon. Il a été entièrement réhabilité en 2000 par l’Entreprise Lamberet établie à Saint-Cyr-sur-Menthon (Ain).

Les successeurs

Les successeurs des tracteurs Berliet pour les interventions nécessitant des levages ou de halage seront des camions-grues. Un Ward-Lafrance en 1949, à nouveau un Berliet en 1964, aménagé par ACTM et Grillet, un camion-grue Griffer/Haulotte en 1969 (baptisé Grue d’intervention rapide)…

Les interventions nécessitant des opérations de manœuvres de force et de secours routier sont confiées à des fourgons de sauvetage (FS) aménagé par Grillet en 1973 sur des châssis Saviem SM8. Le premier est mis en départ en 1973, deux autres en 1974 et 1976. Ils sont engagés pour le secours routier mais également pour le sauvetage déblaiement…

Le remorquage des bateaux lourds du secours fluvial est assuré à partir de 1955 par un tracteur Renault R2069 aménagé par Carrier et transformé en véhicule 4×4 par Sinpar. A partir de 1960 cette charge est assurée par des véhicules dédiés au secours fluvial destinés à devenir des Véhicules plongeurs légers (VPL)…

Une collection de photographies

Remerciements à la Fondation Marius-Berliet de nous avoir autorisé à illustrer ce dossier avec des photographies du tracteur CBA 5 conservé dans ses collections.

Notes

Notes
1 Les sapeurs-pompiers de Lyon ont crée en 1912, huit ans après ceux de Paris, un service de protection, un salvage corps à l’instar de ceux crées en Grande-Bretagne à la fin du siècle précédent, destiné a à assurer la protection des biens pendant les opérations d’extinction. Ceci à l’aide de bâches, d’écopes, de vides-caves, de pompes manuelles…
2 Marius Berliet, fondateur de la société des Automobiles Marius Berliet, le constructeur automobile, est né à Lyon.
3 Le blocage de différentiel améliore la motricité sur les surfaces glissantes. En effet sur ce type de terrain le différentiel reporte le couple vers les roues qui présentent le moins d’adhérence. Les roues qui perdent leur adhérence tournent ainsi à la même vitesse que les autres. Le blocage de différentiel permet donc de reporter le couple vers les roues présentant le plus d’adhérence
4 La chèvre est un appareil de levage constitué poutres disposées en pyramide dans lesquelles passe une corde ou élingue manœuvrée à l’aide d’un treuil.
5 Il portait le matricule 22 dans le registre du parc de véhicules roulant du Corps.
6 Les cinq autres fourgons-pompes Berliet ont été retirés du service entre 1949 et 1953.