Les ambulances volantes de Dominique-Jean Larrey (1797)


Dominique-Jean LARREY (1766 – 1842)

Baron Dominique-Jean LARREY (1766-1842)
Baron Dominique-Jean LARREY (1766-1842)

En avril 1792 Dominique-Jean Larrey, chirurgien aux Invalides, est nommé chirurgien aide-major dans les rangs de l’Armée du Rhin à la tête de laquelle se trouve le maréchal Luckner. Cette armée de la Révolution, qui s’oppose à la Première Coalition, est constituée de deux corps dont l’un est sous le commandement du général Custine sous les ordres duquel se trouve Larrey.

Ce dernier reçoit son baptême du feu en septembre de la même année lors du passage du Rhin. Il avait installé son ambulance1Les hôpitaux ambulatoires de ce type qui suivent les corps d’armées et restent toujours à l’arrière, ont été baptisés ambulants puis ambulances… à une lieue de la ligne de feu comme l’imposait le règlement. Il n’était pas question, pour le service de santé, de se porter au devant des blessés durant les engagements pour prodiguer des soins aux blessés ou les évacuer. Le règlement exigeait que ces derniers n’étaient secourus qu’à la fin des combats. C’est seulement une journée ou deux après les affrontements que ces malheureux pouvaient recevoir des soins, s’ils n’avaient pas péri entre temps de leurs blessures ou s’ils n’avaient été détroussés et achevés par des brigands ou par une arrière garde ennemie…

Larrey n’y tient pas et avec quelques infirmiers volontaires il gagne le champ de bataille pour poser des pansements d’urgence ou déplacer (sur son dos !) des blessés vers une zone plus sûre pour les opérer… sous le feu de l’ennemi2Rappelons qu’à l’époque aucune convention internationale ne protège les personnels de secours aux blessés sur les champs de bataille. La première Convention de Genève est signée en 1864..

Suite à cette action le général Custine le met aux arrêts, au nom du règlement, mais le nomme dans le même temps aide-major principal au nom de l’humanité !

Naissance du concept du service de santé de l’avant

La même année, en novembre, il est sous les ordres direct du général Houchard à qui Custine ordonne d’attaquer l’armée prussienne qui tient Limbourg, en Belgique, et s’oppose à la progression des français. Celle-ci, d’abord surprise, contre-attaque et sème le confusion parmi les rangs de l’armée française. Houchard parvient à se dégager grâce à l’action des batteries d’artillerie volantes. Celles-ci, très mobiles, se sont déplacées rapidement pour apporter une puissance de feu là où elle était nécessaire.

Larrey, qui cette fois a respecté le règlement et se tient à distance, observe la scène à la longue-vue. Crées depuis peu3L’artillerie à cheval, baptisée artillerie légère ou artillerie volante, apparut pour la première fois dans l’Armée française en 1791. Elles deviennent un des fers de lance de la supériorité des armées françaises de cette époque. Lafayette a été un des promoteurs de cette arme., les compagnies d’artillerie à cheval, très mobiles, se déplacent rapidement vers les zones où on a besoin d’elles pour appuyer le reste des troupes puis se repositionner tout aussi rapidement si nécessaire. Leur rapidité et leur réactivité font la différence.

Larrey se demande si cette mobilité et cette rapidité ne pourraient pas s’appliquer à des unités, sanitaires celles-là, qui apporteraient sur le champ de bataille des secours aux blessés, sans attendre la fin des engagements.

Pansement d'un blessé sur le champ de bataille.
Pansement d'un blessé sur le champ de bataille.

Il développe son idée et imagine ainsi une équipe mobile constituée de chirurgiens, d’assistants et d’infirmiers. Ces hommes se déplaceraient à cheval avec des sacoches renfermant un équipement médical de premiers soins. Cette force sanitaire irait parcourir le champ de bataille et porterait secours aux blessés dans l’attente de leur évacuation vers l’arrière. Cette évacuation , qui doit être aussi rapide, se ferait grâce à des paniers, jouant le rôle de civières, portés par des chevaux bâtés.

Larrey expose son idée au général Houchard qui en parle à son tour au Commissaire de guerre Villemanzy4En 1802 Larrey dédie sa thèse de médecine au général Villemanzy, Dissertation sur les amputations des membres à la suite des coups de feu., responsable de l’intendance. Ce dernier donne son accord.

Dès lors Larrey développe ce scénario de service de santé de l’avant. En pratique l’évacuation des blessés dans des civières-paniers se révéla peu satisfaisante et Larrey conçoit alors des voitures suspendues qu’il baptise ambulances volantes.
Larrey est un républicain et il va être de toutes les batailles en Europe dans les armées révolutionnaires. Séduit par Napoléon Bonaparte il sera également de celles du Consulat et du Premier Empire. Il sera chirurgien en chef lors de l’Expédition d’Égypte. Il perfectionne son concept d’ambulances volantes qu’il décrit dans ses mémoires5Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, 4 volumes in-8°, J Smith (Paris), 1812–1817 et finalise leur configuration.

Les ambulances volantes

Ambulance volante Légère
Ambulance volante Légère

Ambulance volante à quatre roues
Ambulance volante à quatre roues

Il existe deux types d’ambulances dites volantes:

  • un modèle à deux roues destiné aux pays plats. Il a la forme d’une caisse allongée, bombée à sa partie supérieure et percée sur les côtés de deux petites fenêtres pour créer un courant d’aération. Deux portes battantes s’ouvrent à l’avant et à l’arrière. Le plancher est constitué d’un matelas de crin porté par un cadre et recouvert de cuir. Ce cadre est mobile et coulisse à l’aide de quatre petites roulettes et de poignées. Ce matelas peut être sorti de la caisse et servir de brancard. L’ambulance peut recevoir deux blessés allongés et est attelée à deux chevaux (parfois un seul), l’un conducteur et monté par un infirmier, l’autre « sous verge » à la droite du premier et non monté.
  • un modèle à quatre roues attelé à quatre chevaux (ou mulets), dont deux conducteurs, pour les terrains montagneux. Le caisson s’ouvre sur le côté sur toute sa longueur grâce à deux portes coulissantes. Le matelas est fixe. Le train avant tourne sur son axe pour favoriser les manœuvres. On peut y embarquer quatre blessés en position allongée. L’attelage pouvait comporter deux chevaux de plus lorsque le terrain était particulièrement difficile.

Les quatre angles inférieurs de la caisse sont suspendus par de fortes courroies de cuir à quatre ressorts de fer pour amortir les chocs du terrain parcouru. Les chevaux porteurs sont montés par les conducteurs.

Pour les deux systèmes, des poches suspendues aux parois intérieurs renferment les instruments de chirurgie , les pansements … ainsi que des réserves d’eau et de nourriture.

Concernant leurs livrées ces ambulances étaient peintes en gris, ocre clair ou vert olive, les parois intérieures restant en bois naturel. Toutes les ferrures, charnières, ressorts, etc., étaient noires. Les cordages enserrant les lames de ressorts étaient noircis. Les courroies de suspension en cuir naturel. Les toitures étaient en toile cirée noire.

Chaque ambulance embarque une caisse d’instruments de chirurgie et une caisse de pharmacie, des linges à pansements, plusieurs dizaines de kg de charpie,…

Une ambulance volante en ordre de marche

Ambulance volante de Larrey
Ambulance volante de Larrey

Infirmier affecté à l'ambulance volante
Infirmier affecté à l'ambulance volante

Lors de campagne d’Italie (1796-1797) l’ambulance est constituée de trois divisions (trois décuries rassemblées en une centurie) à Milan, Udine et Padoue. Chaque division, constituée de douze ambulances légères à deux roues et quatre pesantes à quatre roues. Elle est conduite par un maréchal des logis assisté d’un maréchal des logis sous chef. Sous leurs ordres deux brigadiers, dont un maréchal-ferrant, un trompette et vingt soldats conducteurs.
Le regroupement des ambulances d’une division  avec celles de divisions voisines permet la constitution, très rapide, d’un ou plusieurs hôpitaux de l’avant. On peut peut être voir là l’ancêtre du poste médical avancé (PMA).

L’équipe médicale est constituée, pour chaque ambulance, d’un chirurgien-major assisté de deux chirurgiens aides-major, douze chirurgiens sous-aides-majors (deux font offices de pharmaciens), un trompette (également porteur des instruments de chirurgie), douze soldats infirmiers à cheval (dont un maréchal-ferrant, un bottier et un sellier), un sergent major, deux fourriers, trois caporaux, un tambour, également garçon d’appareils de chirurgie, 25  soldats infirmiers à pieds.

Par ailleurs un lieutenant économe, un sous-lieutenant sous-économe, un maréchal des logis et deux brigadiers commis assurent les approvisionnements.

Des chariots du train d’équipage accompagnent les ambulances pour transporter les matériels, équipements et fournitures complémentaires.

Cela représentait, au total, près de 300 personnels pour les trois décuries !

Un concept qui fait son chemin…

On peut certainement voir dans le concept d’ambulances volantes, telles que Larrey les a conçues, au moins deux concepts actuels du secours à victimes:

  • celui de l’ambulance, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est à dire un moyen mobile, dont l’objectif est d’acheminer des secours d’urgence auprès d’un malade ou d’une victime puis d’assurer son évacuation vers un centre de soins,
  • celui de stabilisation préhospitalière d’une victime avant son évacuation. A l’époque où Larrey exerçait, ce sont les amputations précoces qui seront privilégiées et pratiquées sur le champ de bataille6Larrey aurait pratiqué plus de 200 amputations en une seule journée lors de la bataille d’Eylau en février 1807 en Prusse-Orientale. Soit sept minutes par amputation ! La rapidité de l’intervention était la meilleure réponse à l’époque à l’absence d’anesthésie, d’asepsie et antisepsie., avant évacuation en raison de la gravité des blessures, du risque rapide de gangrène et de l’excellence des résultats qu’elles permettent pour la survie de nombreux blessés.

Les déclinaisons militaires des ambulances volantes participeront à l’évolution du Service de santé des armées (pendant la Grande guerre on évacue encore des blessés en ambulances hippomobiles) en France et dans la plupart des autres pays. Il y aura des déclinaisons civiles également avec le formidable développement des véhicules de secours à victimes  qu’ils soient privés, municipaux,  sapeurs-pompiers (VSAB, VSAV, AR, VRM…) et en point d’orgue la création en France des services mobiles d’urgence et de réanimation en juillet 1968 (SMUR/SAMU)7Le premier SAMU officiel qui va s’occuper de l’intervention préhospitalière est créé le 16 juillet 1968 à Toulouse par le Pr Louis Lareng (président-fondateur en 1972), afin de coordonner les efforts médicaux entre les équipes préhospitalières (SMUR) et les services d’urgence hospitaliers..

Enfin, autre apport de Larrey, et non des moindres, est la notion d’universalité des secours. Il priorisait la gravité des blessures quelque soit l’armée d’appartenance ou le grade des blessés.
Ses préoccupations concernant  les secours à apporter aux blessés lors de conflits armés sont à rapprocher de celles d’Henri Dunant, lui aussi choqué par le sort des blessés lors de la bataille de Solférino (Italie,1859), et qui sera à l’origine de la Croix-Rouge Internationale et dont les propositions ont inspiré plusieurs clauses de la Convention de Genève (1864).

Notes

Notes
1 Les hôpitaux ambulatoires de ce type qui suivent les corps d’armées et restent toujours à l’arrière, ont été baptisés ambulants puis ambulances…
2 Rappelons qu’à l’époque aucune convention internationale ne protège les personnels de secours aux blessés sur les champs de bataille. La première Convention de Genève est signée en 1864.
3 L’artillerie à cheval, baptisée artillerie légère ou artillerie volante, apparut pour la première fois dans l’Armée française en 1791. Elles deviennent un des fers de lance de la supériorité des armées françaises de cette époque. Lafayette a été un des promoteurs de cette arme.
4 En 1802 Larrey dédie sa thèse de médecine au général Villemanzy, Dissertation sur les amputations des membres à la suite des coups de feu.
5 Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, 4 volumes in-8°, J Smith (Paris), 1812–1817
6 Larrey aurait pratiqué plus de 200 amputations en une seule journée lors de la bataille d’Eylau en février 1807 en Prusse-Orientale. Soit sept minutes par amputation ! La rapidité de l’intervention était la meilleure réponse à l’époque à l’absence d’anesthésie, d’asepsie et antisepsie.
7 Le premier SAMU officiel qui va s’occuper de l’intervention préhospitalière est créé le 16 juillet 1968 à Toulouse par le Pr Louis Lareng (président-fondateur en 1972), afin de coordonner les efforts médicaux entre les équipes préhospitalières (SMUR) et les services d’urgence hospitaliers.