La première catastrophe industrielle de France: Feyzin (1966)


Vue aérienne de la raffinerie de Feyzin
Vue aérienne de la raffinerie de Feyzin

Située au sud de Lyon, dans le département de l’Isère, à proximité de l’autoroute A7, la raffinerie de Feyzin, mise en service en juillet 1964 peut traiter 1,7 millions de tonnes de pétrole par an. Elle comprend au début de l’année 1966 un stockage de Gaz de Pétrole Liquéfiés (GPL) sous pression d’une capacité totale de 13 100 m3. Le site intègre quatre sphères de propane, quatre de butane et des réservoirs de carburants.

Le mardi 4 janvier vers 6h30 un opérateur, accompagné d’un technicien de laboratoire et d’un pompier de service, s’apprête à effectuer un prélèvement sur la sphère 443 contenant près de 700 m3 de propane. C’est une procédure routinière.

Mesures d'alerte
Mesures d'alerte

Lors de l’opération et suite à une mauvaise manœuvre de l’opérateur une fuite se déclenche. Il n’est alors plus possible de refermer la vanne qui avait été ouverte pour le prélèvement. Une nappe de gaz commence à se répandre dans un réseau de puisards situé sous les sphères, à l’intérieur du site et se dirige vers l’autoroute qu’aucun mur ne sépare de l’enceinte de la raffinerie…

L’alerte est donnée. Les deux autres pompiers de la raffinerie (ils étaient trois en garde) se présentent avec le camion-poudre sur châssis Citroën 55 et le fourgon-pompe tonne Heuliez sur châssis Citroën T46.

La circulation sur l’autoroute A7 est interrompue dans les deux sens.

Au même moment un prestataire travaillant pour la raffinerie approchait de la raffinerie pour prendre son poste. Il se présente en automobile par une bretelle d’accès à l’autoroute non fermée.

Une étincelle provenant de sa voiture (gaz d’échappement, frottement des freins…) embrase la nappe de gaz. Le malheureux conducteur, gravement brulé et hospitalisé, décédera deux jours plus tard.

Le feu quant à lui, remonte jusqu’à la sphère 443 d’où le gaz s’échappe. Il est 7h16 et une gigantesque flamme brûle alors en chalumeau sous la sphère…

Les premiers moyens

Le réseau d’incendie de la raffinerie est constituée de poteaux à incendie de 100 mm, de bouches de 150 mm, de quatre lances-canons, alimentés à partir d’un bassin de 12 000 m3 et deux pompes d’un débit de 400 m3/h à 12 bar. Chaque sphère peut être refroidie par deux couronnes débitant de l’eau en partie haute et un pulvérisateur en partie basse. Le service de sécurité est constitué d’un chef de service, d’un adjoint, de trois pompiers professionnels et 35 ouvriers intervenant comme pompiers auxiliaires. Ils arment neuf véhicules d’intervention.

Le camion poudre de la raffinerie est mis en action ainsi que les systèmes de refroidissement des sphères mais le rayonnement thermique ne permet déjà plus d’accéder à la vanne d’ouverture de la 443. Les pompiers auxiliaires sont rappelés par la sirène d’alerte de la raffinerie.

La demande de secours auprès des sapeurs-pompiers de Lyon est effectuée à 7h19.1C’est le sapeur-pompier téléphoniste Albert Combe qui recoit l’appel au Quartier Central à Lyon.

De la caserne de Gerland partent un fourgon-pompe mixte et la grande-puissance pour feux d’hydrocarbures (GPFH, Berliet GBK) sous les ordres de l’adjudant Prévot qui dirigera donc la première attaque du feu.

Au même moment un autre fourgon-pompe mixte (FPM n° 120, Berliet GAK 17) quitte le Quartier central, accompagné d’un fourgon-pompe tonne (FPT n° 141, Berliet GAK 17) sous les ordres de l’adjudant Heyraud.

Première intervention des pompiers de la raffinerie
Première intervention des pompiers de la raffinerie

Les deux détachements sont immédiatement suivis par le commandant Legras, commandant de jour, en Renault R4 (n° 138). Il est lui même suivi par le commandant Pierret, chef de corps, piloté par le sapeur Schmitt au volant d’une Peugeot 403 de direction. Une ambulance les suit.

A l’arrivée de ces secours une lance à mousse est établie. Un tapis de mousse est créé autour de la sphère. La remorque poudre, tractée par un FPM, permet d’établir deux lances pistolets.

L’attaque directe ne semble pourtant pas faire diminuer l’intensité des flammes. L’adjudant Prévot décide alors de tenter un refroidissement des sphères voisines soumises à un intense rayonnement thermique. Pour cela deux grosses lances (GL) sont établies depuis un FPM. Deux autres encore sont établies à partir de l’autre FPM et du FPT.

La soupape de sécurité de la sphère 443, située en partie supérieure, s’ouvre et libère une flamme de près de quinze mètres qui, au gré du vent, entre en contact avec les sphères voisines…
Le camion-mousse de la raffinerie (Guinard Saviem JL25 mise en service trois ans plus tôt, capacité de 5 000 litres de liquide émulseur, pompe d’un débit de 180 m3/h) est engagé.

Des renforts sont rapidement demandés par le commandant Pierret aux sapeurs-pompiers de Lyon, ceux de Vienne et Givors. Il demande également l’engagement du camion mousse de l’usine Rhodia à Belle-Étoile.

Un troisième FPM lyonnais quitte la caserne de Gerland (n°102, Berliet GLA).

De Vienne, en Isère, partent un FPT (Berliet GAK) et un véhicule de liaison hors route (Jeep) soit 12 hommes aux ordres du chef de corps, le capitaine Conte.

Le camion-grue arrive de Gerland pour déplacer les véhicules à proximité du sinistre (CG Ward-Lafrance Type MI, n° 44).

Avant l'explosion
Avant l'explosion

Deux motopompes de la raffinerie sont également mises en action.

La forte sollicitation du réseau d’eau de la raffinerie par les moyens hydrauliques engagés inquiète l’adjudant Prévot qui décide alors de positionner le GPFH en aspiration dans le Rhône dont un canal de dérivation est situé à 400 mètres de la sphère 443. Il est convenu que tous les engins-pompes arrivant en renfort se positionneront de la même façon.

Plusieurs autres GL sont établies. 11 GL sont ainsi en action plus deux petites lances (PL). D’autres sont en cours d’établissement…

Le camion mousse de Rhodia est utilisé pour refroidir les sphères proches de celle en flammes.

L’intensité du feu et de son rayonnement ne faiblissent pourtant pas. Il est demandé aux porte-lances, positionnés à une trentaine de mètres du sinistre, de reculer tandis que les lances sont installées sur des supports.

L’explosion, les renforts

L'explosion vient d'avoir lieu...
L'explosion vient d'avoir lieu...

A 8h45 une terrible explosion se produit et atteint les sauveteurs les plus engagés. La sphère 443 a subi un effet ébullition-explosion, phénomène que l’on connaitra mieux plus tard sous l’acronyme BLEVE (boiling liquid expanding vapor explosion ). La soupape de sécurité s’est révélée insuffisante en débit pour évacuer le gaz de la sphère portée à une forte température.

Cette explosion a été entendue jusqu’à seize kilomètres de la raffinerie !

Le chef de corps Pierret étant gravement blessé, le capitaine Mongarny, du Quartier central, et le capitaine Baptistal, arrivé avec le FPM de la caserne Rochat, prennent le commandement des opérations. Le commandant Legras passe le message « envoyez sur les lieux toutes les ambulances disponibles ». Avec l’adjudant Prévot il organise la recherche des blessés et leur évacuation. De nouveaux renforts sont demandés.

Le Quartier central fait partir toutes les ambulances disponibles : Renault Estafette, Renault Goélette 1000 et 1400 kg… armées chacune par un sapeur-pompier lyonnais et deux gardiens de la paix qui embarquent depuis la Préfecture située à proximité de la caserne. En départ également celle de Gerland (Citroën HY) ainsi que la Renault 1000 kg de Corneille.

Le commandant Héraud prend la direction du poste de commandement du Quartier central.

Un FPT (FPT n°143, Berliet GAK) quitte Gerland, un autre encore part de la caserne Rochat (FPT n° 140, Berliet GAK) accompagné d’un FPM (n° 129).

Le centre communal volontaire de Sainte-Foy fait partir un fourgon d’incendie normalisé (FIN, Berliet GLA) et une ambulance (Volkswagen type 27).
Une grande puissance dévidoir (GPD, Berliet GBK), un poste de commandement et une Jeep avec une remorque émulseur quittent Grenoble en direction de Feyzin. Le GPD sera fort utile pour prévenir une extension du feu en zone C située de l’autre côté de l’autoroute et constituée de postes de chargements routiers et ferroviaires. Le feu pourrait se propager dans cette zone depuis la raffinerie par un pont technique qui enjambe l’autoroute. Le personnel du GPD établit deux GL et une lance à mousse qui permettront de préserver cette zone.

De Vienne partent encore un FIN (Berliet GLA). Le centre communal volontaire de Pierre-Bénite en fait partir un autre (Citroën T46) et une ambulance Estafette. D’autres renforts isérois sont mis en alerte: Bourgouin-Jallieu, Le Péage-de-Roussillon…

A 9h30 une sphère proche de la 443 explose. Deux autres sphères s’éventrent mais n’explosent pas. Le Plan ORSEC2Le dispositif ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) est un programme d’organisation des secours à l’échelon départemental, en cas de catastrophe. Il permet une mise en œuvre rapide et efficace de tous les moyens nécessaires sous l’autorité du préfet. est déclenché.

Deux autres FPT quittent Lyon, le GAK n° 128 du Quartier central et une autre depuis Gerland. L’autopompe dévidoir (APD) prend son départ armée à 4 hommes (châssis Laffly ACL 5, 1 600 mètres de tuyaux de 110 mm) ainsi que le véhicule de servitude (Ford, type 598 T).

En milieu de matinée tous les blessés ont été admis à l’hôpital Édouard-Herriot ou à l’hôpital Saint-Luc de Lyon.

Un troisième explosion se produit. Puis une quatrième. Plus tard une cinquième sphère explosera à son tour.

Une réserve de personnels et de matériels est constituée à Lyon à partir de plusieurs centres de secours du département du Rhône. Les sapeurs-pompiers de Saint-Étienne y participent avec une autopompe de grande puissance Berliet PCK qui se présente à la caserne de Gerland. Les engins de réserve des sapeurs pompiers de Lyon, ou en voie de réforme, reprennent du service pour les interventions courantes.

A 10h40 les sapeurs-pompiers de Lyon ont engagé 11 engins-pompes, 8 ambulances et un camion-grue, sans parler des 5 voitures de liaison ou de direction. Concernant les effectifs, 7 officiers, 112 gradés et sapeurs sont à pied d’œuvre.

En début d’après-midi un détachement du Bataillon de marins-pompiers de Marseille se met en route vers Feyzin. Il comprend une cinquantaine d’hommes qui arment deux fourgons-pompes et une grande puissance dévidoir. Ils sont accompagnés par un camion mousse de la raffinerie Shell de Berre. Ils arriveront sur place à 19h30.

Les sapeurs-pompiers d’Isère et de Lyon attaquent le feu d’un réservoir de carburant. C’est la grande puissance pour feux d’hydrocarbures de Lyon et celle du service d’incendie du Port-Édouard-Herriot (les deux engins offrent les mêmes caractéristiques: Châssis Berliet GBK18, 4 000 litres d’eau, 500 litres de liquide émulseur, pompe d’un débit de 120 m3/h) qui alimentent les lances3Celle de Lyon a été mise en départ en 1961 et a été le premier engin du Corps entièrement conçu pour la lutte contre les feux d’hydrocarbures. Celle du Port Édouard-Herriot est identique mais son châssis est à simple cabine.

Le Colonel Casso, commandant le Régiment de sapeurs-pompiers de Paris qui a fait le déplacement par voie aérienne, se présente et visite les lieux accompagnés d’officiers de son État-Major et d’officiers locaux.

Les pompiers de la raffinerie Shell de Berre-l’Étang parviennent à éteindre un réservoir de carburant en flammes avec leur camion mousse de grande puissance. Ils s’attaqueront ensuite au feux de deux autres réservoirs avec les marins-pompiers de Marseille. Les sapeurs-pompiers de Grenoble s’attaquent, quant à eux, aux feux de deux autres réservoirs. Au petit matin tous ces feux de réservoirs, provoqués par les explosions des sphères, seront éteints.
Un détachement de sapeurs-pompiers de Paris se présente vers 8 heures.

Feu maitrisé !

Le lendemain de la tragédie l’ensemble des forces engagées combattent des feux résiduels en nombre important. En fin de matinée le détachement de marins-pompiers prend le chemin du retour vers Marseille. Dans l’après-midi c’est celui de Paris qui quitte les lieux.

Un expert anglais présent sur les lieux est à l’origine d’une nouvelle alerte. Selon lui un réservoir de carburant menace d’exploser. Nouveau départ d’engins lyonnais, un nouveau détachement de marins-pompiers de Marseille, fort d’une cinquantaine d’hommes, fait route vers Feyzin. Il s’avère qu’il s’agit d’une fausse alerte, le réservoir en question est froid.

L’alerte est levée le 5 janvier 1966 au soir.

Le détachement de marins-pompiers arrive toutefois sur les lieux dans la nuit et assurera une surveillance du site avec les sapeurs-pompiers lyonnais et grenoblois.

Le bilan

Les dégâts matériels aux alentours de Feyzin
Les dégâts matériels aux alentours de Feyzin

Le bilan humain est terrible. On dénombre 18 victimes : 7 sapeurs-pompiers de Lyon, 4 de Vienne, 2 employés de la raffinerie, 4 employés prestataires de la raffinerie, un ingénieur de Rhodiacéta. Plus de 80 blessés dont 12 brulés graves.

Près de 1 500 habitations ont été touchées par les explosions jusqu’à plus de huit kilomètres autour de la raffinerie.

La catastrophe de Feyzin est, pour la France, l’une des catastrophes des plus meurtrières et des plus marquantes de son histoire industrielle. Elle a entraîné une réforme profonde de la réglementation technique applicable aux installations pétrolières.

Un certain nombre de communes de la périphérie est et sud-est de l’agglomération lyonnaise (dont Feyzin) qui étaient rattachées au département de l’Isère ont été rattachées au département du Rhône en 1967.

La raffinerie, toujours en activité aujourd’hui, a été classée Seveso.

Sources

  • Jacques Périer. Les véhicules d’incendie à Lyon, Les Éditions du vingt mars, 1990. ISBN 2907922-19-X
  • Jacques Périer, Cne Bernard Emelie. Première catastrophe industrielle, Casque Infos, Comité d’animation sociale et culturelle des sapeurs-pompiers du Grand Lyon, 1996
  • Base de données ARIA (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents),fiche n°1, BLEVE dans un dépôt de GPL en raffinerie Le 4 janvier 1966 Feyzin (69) – France, Ministère chargé de l’environnement/DPPR/SEI/BARPI-CFBP, septembre 2006
  • Archives photographiques de la Bibliothèque municipale de Lyon (photographies de Jacques VERMARD),
  • Archives photographiques de Pascal Marion.
Une collection de photographies

Notes

Notes
1 C’est le sapeur-pompier téléphoniste Albert Combe qui recoit l’appel au Quartier Central à Lyon.
2 Le dispositif ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) est un programme d’organisation des secours à l’échelon départemental, en cas de catastrophe. Il permet une mise en œuvre rapide et efficace de tous les moyens nécessaires sous l’autorité du préfet.
3 Celle de Lyon a été mise en départ en 1961 et a été le premier engin du Corps entièrement conçu pour la lutte contre les feux d’hydrocarbures. Celle du Port Édouard-Herriot est identique mais son châssis est à simple cabine.