Les bateaux-pompes de San Francisco
Le San Francisco Fire Department Auxiliary Water Supply System (AWSS)
Le tremblement de terre de San Francisco en avril 1906 a été parmi les plus grandes catastrophes naturelles ayant touché une grande ville américaine. Il est important de noter que ce sont les incendies consécutifs au séisme qui ont occasionné le plus de destructions, plus de 80% des 500 pâtés de maisons et 28 000 bâtiments et constructions.
Ce bilan s’explique par le fait que le séisme, ayant mis à mal les conduites de distribution d’eau1Mais également les conduites de gaz, ce qui a occasionné un grand nombre d’incendies…, les pompiers ont du faire face à ces très violents incendies avec un manque cruel d’eau.
Fort de cette expérience tragique, les autorités ont mis en place un réseau auxiliaire d’alimentation en eau. La ville est ainsi parcourue par un système à haute pression. C’est un système de conduites et de bouches d’incendie à haute pression, indépendant de l’alimentation en eau domestique, construit exclusivement pour la lutte contre les incendies. Le système est alimenté en eau douce, par gravité, à partir de réservoirs dont certains sont situés à haute altitude dans la ville. En cas de panne de l’alimentation en eau douce gravitationnelle, deux stations de pompage, situées sur la rive de la Baie peuvent, à tout moment, commencer à pomper de l’eau salée dans le système haute pression.
Une composante majeure de ce système a été la mise en service de bateaux-pompes. Ces derniers replissent les missions habituelles dédiées à ce type de navire: lutte directe contre les incendies de navires ou a proximité des quais et berges, alimentation en eau des forces terrestres, secours et sauvetage, patrouille… Mais ils ont à San Francisco une mission plus importante que toutes: intégrer le système ci-dessus et être capables de renforcer les stations de pompage, voire de les suppléer si elles sont endommagées par un nouveau séisme. Il y a cinq collecteurs le long de la Baie pour permettre aux bateaux-pompes d’alimenter le réseau avec de l’eau de la Baie.
Ce plan d’organisation avait été proposé dès 1903 par Dennis T. Sullivan (1852-1906), ingénieur en chef du service d’incendie de la ville et mis en œuvre à partir de 1909. Sullivan a été une victime du tremblement de terre de 1906 et nous verrons plus bas qu’il a donné son nom à l’un des tous premiers bateaux-pompes de San Francisco.
Le séisme de 1906 et l’action des remorqueurs
A cette date le Port de San Francisco n’armait pas de bateaux-pompes mais était défendu par deux remorqueurs à vapeur modestement équipés pour la lutte contre les incendies (environ 4 000 l/min): le Governor Irwin, mis en service en 1878, et son sister-ship le Governor Markham mis en service en 1895.
Ces derniers permirent d’alimenter en eau les forces terrestres (ils embarquaient chacun près de 365 mètres de tuyaux) mais leurs efforts furent limités devant l’ampleur du sinistre.
Durant les secours ils ont été rejoints par des bateaux-pompes ou remorqueurs de la Marine militaire américaine (US Navy) depuis les bases navales à proximité. C’est le cas par exemple de l’USS Leslie, USS Fortune ou l’USS Active.
Les deux premiers bateaux-pompes
La leçon était toutefois retenue et trois ans plus tard (1909) deux bateaux-pompes sont mis en service. Ils sont baptisés des noms de deux anciens chefs des services d’incendie de la ville, Dennis T. Sullivan et David Scannell. Construits par Risdon Iron & Locomotive Company, longs de plus de 36 mètres, déplaçant 272 tonnes, ils étaient propulsés par deux chaudières à vapeur Babcock-Wilcox et deux hélices.
Les deux pompes à incendie Byron-Jackson, délivrant chacune environ 17 000 l/min, étaient entrainées par deux turbines General Electric à vapeur, premier système de ce genre au sein des bateaux-pompes américains. L’équipement incendie est complété par trois lances canons dont une au sommet d’un mât tourelle télescopique de 17 mètres sur le pont arrière. Une canalisation perforée permet de diffuser un brouillard d’eau autour du poste de pilotage. Deux collecteurs de refoulements, l’un à bâbord et l’autre à tribord, permettent d’établir des lances. Chacun comporte 10 sorties. Par ailleurs les navires embarquent plus de 2 000 mètres de tuyaux et deux échelles de six mètres ainsi que deux canots de sauvetage.
L’équipage est constitué d’un officier, un pilote, deux ingénieurs, deux chauffeurs (alimentation des chaudières), et sept équipiers. Les pompiers de San Francisco affectés aux bateaux-pompes se distinguaient par leurs casques de couleur jaune.
Les deux navires seront déclassés et ferraillés en 1954.
Le Phoenix (Fireboat 1)
Ils seront remplacés par le Phoenix2La Phoenix Society of San Francisco est une association créée en 1932 et regroupant des membres sensibilisés à la lutte contre les incendies. Son nom a été choisi car il est étroitement associé à la ville qui a ressuscité comme un phénix des cendres d’incendies destructeurs pas moins de sept fois. Le phénix est d’ailleurs le thème central du sceau de la ville et du comté de San Francisco. C’est un membre de cette association qui aurait suggéré le nom du bateau-pompe., du nom de l’oiseau légendaire qui a su renaître de ses cendres comme San Francisco a dû renaître après le tremblement de terre de 1906. Dessiné par John G. Alden Inc. et construit par Hugh F. Munroe of Plant Shipyard (Alameda, Californie), il est lancé en février 1955. Long de 27 mètres et déplaçant 146 tonnes à une vitesse de 15 nœuds (environ 28 km/h), sa capacité hydraulique est d’environ 24 000 l/min.
Deux moteurs diesel Cummins de 527 ch assurent la propulsion (deux arbres d’hélices) et l’entrainement de deux pompes centrifuges à deux étages De Laval, chacune d’un débit d’environ 12 000 l/min à 10 bar de pression. Un troisième moteur Cummins de 486 ch entraîne uniquement les pompes.
De plus des jets latéraux, sous pression (3 800 l/min), au dessus et au dessous de la ligne de flottaison, viennent améliorer la manœuvrabilité par des poussées latérales commandées depuis le poste de pilotage. Cette assistance à la manœuvrabilité a été utilisé par plusieurs bateaux-pompes américains comme par exemple le Duwamish de Seattle.
L’équipement hydraulique est complété par quatre canons à eau. L’un se trouve sur le poste de pilotage (environ 11 000 l/min), deux sur les ponts avant et arrière (environ 7 600 l/min) et enfin un au sommet d’une tourelle de 10 mètres, extensible à 14 mètres (7 600 l/min également). Toutes les lances-canons sont commandées depuis le poste de pilotage.
Le bateau-pompe embarque une réserve d’environ 2 000 litres de liquide émulseur et les équipements nécessaires à la production de mousse. Il embarque également plus d’un kilomètre de tuyaux.
L’équipage de conduite et composée d’un officier, d’un ingénieur (pompes et moteurs) et d’un pilote. L’équipe d’intervention incendie est composée quant à elle d’un officier et de trois à cinq équipiers pompiers.
Le navire a connu plusieurs livrées: noire et blanche3Les premiers bateaux-pompes ont souvent porté ces couleurs, noire et blanche, qui étaient aussi celles des remorqueurs auxquels ils étaient apparentés., noire, blanche et rouge, blanche et rouge…
Le séisme de 1989
L’étude du séisme de 1906 par les pompiers de San Francisco, au début des années 1980, les a conduits à concevoir un scénario d’alimentation en eau à haute pression en cas de rupture du réseau. Au départ de la chaîne le bateau-pompe Phoenix, utilisé comme station de pompage de substitution et qui alimente un portable hydrant ou poteau à incendie portable, en fait une pièce de jonction alimentée par des tuyaux de gros diamètre.
Plusieurs de ces hydrants (de trois à cinq) sont portés par les engins terrestres, engins-pompes et dévidoirs automobiles, chargés de les mettre en œuvre. Les engins-pompes peuvent s’intercaler en relais et relever la pression.
C’est exactement ce scénario qui a sauvé la Marina de Loma Pietra lors du séisme d’octobre 1989. Plus d’une vingtaine d’incendies ont suivi le violent tremblement de terre. Ce dernier a sévèrement endommagé les conduites d’eau et stations de pompage terrestres.
Le Phoenix, dépêché sur les lieux avec un équipage réduit 4La plupart des pompiers de San Francisco étaient intervenus en premiers appels suite au séisme. a alimenté les pompiers terrestres en manque d’eau. On estime qu’il a pompé plus 20 millions de litres d’eau en 15 heures !
Une intervention qui confirme, si besoin était, le slogan des pompiers américains: Quand un bateau-pompe est nécessaire, rien ne peut le remplacer ! Pourtant au début des années 1980 des voix s’étaient élevées pour affirmer que ce bateau-pompe était trop coûteux et trop vieux et qu’il devait être retiré du service !
Lorsque le Phoenix n’était pas opérationnel du fait de son immobilisation pour sa maintenance, il était remplacé par le remorqueur Frank G. White dans le cadre d’un accord entre les pompiers de San Francisco (le San Francisco Fire Department ou SFFD) et les autorités portuaires. Ces dernières étaient les opérateurs de ce remorqueur qui appartenait à l’État de Californie. Cet accord a été formalisé en 1954 lorsque les bateaux-pompes Sullivan and Scannell ont été retirés du service. Le remorqueur Frank G. White est long de 22 mètres et offre une capacité hydraulique de près de 23 000 l/min. Il a été dé-commissionné en 1978.
Du renfort avec le Guardian (Fireboat 2)
De généreux donateurs, habitants de la Marina et à l’issue d’une souscription, versent une somme importante d’argent aux pompiers de San Francisco, en reconnaissance des services rendus et du sauvetage de leurs biens, pour l’achat d’un second bateau-pompe.
Le choix se porte sur le Vancouver Fireboat n°2. Construit en 1951 il est déclaré en surplus dans la capitale de la Colombie Britannique au Canada. Son acheminement vers San Francisco par les pompiers eux-mêmes, ne fut pas une partie de plaisir ! Mauvais temps, pannes hydrauliques, panne de générateur, eau potable insuffisante… La « croisière » a duré plusieurs jours sur un navire sans couchettes ni cuisine…
Mis en service en 1990 en tant que réserve, le premier départ étant assuré par le Phoenix, il est rebaptisé Guardian. Construit par Yarrows Ldt, à Esquimalt, en Colombie Britannique au Canada, il est long de 25 mètres et déplace 188 tonnes à une vitesse de 15 nœuds (28 km/h).
Il est propulsé initialement par deux moteurs Kermath 12 cylindres à essence de 525 ch. Trois autres moteurs identiques animent les cinq pompes à incendie. Il est ultérieurement remotorisé avec cinq moteurs diesel General Motors de 462 ch, deux pour la propulsion et l’animation des pompes, trois pour l’animation des pompes uniquement.
Son équipement incendie est constitué de cinq pompes centrifuges d’un débit de 16 500 l/min chacune environ. il embarque plus de 300 mètres de tuyaux en deux dévidoirs sur le pont principal et 210 mètres en cale. Il arme quatrelances-canons dont une sur tourelle.
Le St-Francis (Fireboat 3)
Le St-Francis5La ville a été nommée en l’honneur de saint-François d’Assise. est mis en service en 2016. Un nouveau contrat après plus de 60 ans et la commande du Phoenix ! Le financement est assuré par la ville de San Francisco, une subvention fédérale et celle de l’Urban Areas Security Initiative (UASI), organisme fédéral impliqué dans le lutte contre le terrorisme.
Le nouveau bateau-pompe, long de 25 mètres, est conçu par l’architecte Jansen Maritime et construit par Vigor à Seattle. Compte tenu du passé historique de la ville et ses deux derniers séismes, les pompiers de San Francisco ont privilégié la capacité et la fiabilité de la configuration pompage du navire6Fireboat 3 peut remplir une piscine olympique en une trentaine de minutes !. Ce dernier peut être amarré et être utilisé comme une véritable station de pompage pour alimenter assister les forces terrestres dans leur lutte contre les incendies consécutifs à un séisme. C’est pourquoi le navire est équipé de trois pompes à incendie, toutes trois attelées aux moteurs principaux. Deux de ces moteurs sont également utilisés pour la propulsion. Ainsi une panne de moteur ne met en péril ni la capacité de pompage du navire ni sa propulsion (et donc le maintien de sa mise en station).
Les trois moteurs sont des Cummins diesel de 750 ch et les trois pompes à incendie des CounterFire ESF. Chacune offre un débit de près de 23 000 l/min à 10 bar de pression ou 7 600 l/min à 20 bar.
La manœuvrabilité du navire est renforcée par un propulseur d’étrave Wesmar alimenté par un moteur auxiliaire (qui fournit également le courant électrique du navire).
L’équipement incendie est complété par quatre lances-canons dont une, située à l’avant, porte un tube mousse. Le navire embarque une réserve d’environ 3 800 litres de liquide émulseur.
Par ailleurs le bateau-pompe est équipé pour la lutte contre les risques nucléaire, chimique, radiologique et bactériologique (NRBC) ainsi que pour la prise en charge médicalisée de victimes (EMS).
Il présente à l’arrière une rampe de mise à l’eau rapide d’une embarcation motorisée, de type semi-rigide, pour effectuer des sauvetages, des reconnaissances ou des liaisons.
Notes
↑1 | Mais également les conduites de gaz, ce qui a occasionné un grand nombre d’incendies… |
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↑2 | La Phoenix Society of San Francisco est une association créée en 1932 et regroupant des membres sensibilisés à la lutte contre les incendies. Son nom a été choisi car il est étroitement associé à la ville qui a ressuscité comme un phénix des cendres d’incendies destructeurs pas moins de sept fois. Le phénix est d’ailleurs le thème central du sceau de la ville et du comté de San Francisco. C’est un membre de cette association qui aurait suggéré le nom du bateau-pompe. |
↑3 | Les premiers bateaux-pompes ont souvent porté ces couleurs, noire et blanche, qui étaient aussi celles des remorqueurs auxquels ils étaient apparentés. |
↑4 | La plupart des pompiers de San Francisco étaient intervenus en premiers appels suite au séisme. |
↑5 | La ville a été nommée en l’honneur de saint-François d’Assise. |
↑6 | Fireboat 3 peut remplir une piscine olympique en une trentaine de minutes ! |