Les bateaux-pompes Paris et Lutèce de Paris (1937-1978/1991)
Les premières embarcations
Au début du 18ème siècle deux bateaux-pompes sont armés à la demande du lieutenant général de Paris. Ces deux embarcations, stationnées au Port Saint-Paul, sont peu entretenues et auraient été inutilisables au bout de quelques années. L’une disparait pendant la Révolution, l’autre serait restée à quai près de l’Hôtel des Monnaies jusqu’au début du siècle suivant.
Vers 1870 cinq barges équipées de pompes à vapeur sont réparties le long des quais de Paris entre le Trocadéro et le quai de Bercy.
En 1900, en prévision de l’Exposition Universelle1Deux fourgons d’incendie électriques des pompiers de Paris sont présents dans le cadre du dispositif de sécurité de cette exposition. Ils y sont particulièrement remarqués par le jury chargé d’évaluer les innovations (voir notre article)., une péniche à vapeur est chargée d’une pompe à vapeur et d’un important matériel de lutte contre les incendies. Celle-ci ne persista que peu de temps après l’Exposition.
L’exposition Universelle de 1937
Plus tard ce sont deux bateaux-pompes qui sont acquis en prévision cette fois de l’Exposition Universelle de 1937 et ce à l’initiative du commandant Gabriel Beinier, officier supérieur du Régiment des sapeurs-pompiers de Paris.
La majorité des pavillons de l’exposition (près de 190 !), consacrée aux arts et techniques dans la vie moderne, étaient construits aux abords immédiats de la Seine, entre la pointe de l’île aux Cygnes et la place de la Concorde, à cheval sur la Seine.
L’entrée d’honneur se faisait par la place du Trocadéro. Des annexes existaient boulevard Kellermann, place de la Porte-de-Saint-Cloud et porte Maillot, reliées par un service de tramways.
En cas de sinistre l’intervention des secours terrestres risquait d’être rendue difficile du fait de la suppression de certaines voies d’accès et par la présence d’un public nombreux.
Les bateaux-pompes étaient alors des moyens adéquats pour assurer la couverture des risques depuis la Seine.
Rappelons, pour mesurer l’ampleur de cette exposition, et donc des risques associés, que plus 44 pays étaient représentés et qu’elle s’est prolongée de mai à novembre 1937 !
Commande est donc faite en 1936 de deux bateaux-pompes automoteurs identiques aux Chantiers navals franco-belges situés à Villeneuve-le-Garenne en région parisienne. Ces mêmes chantiers construiront bien plus tard le bateau-pompe Commandant Filleau de Bordeaux, plusieurs autres encore pour la Marine nationale comme le Cascade ou le Pythéas2Également le bateau-pompe Louis Colet construit par la Société française de construction navale, anciennement Chantiers navals franco-belges, toujours située à Villeneuve-le-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, en région parisienne.…
Ils sont baptisés Lutèce et Paris. Le premier est amarré au pied du pont de l’Alma tandis que le second prend position au pied du pont de Passy, tous deux prêts à intervenir.
Ils sont armés chacun par sept sapeurs-pompiers qui, selon le règlement en vigueur, portaients des tenues de feu avec bottillons en caoutchouc ou bottes en cuir non cloutées :
- un chef de bord, officier ou sous-officier,
- un pilote, caporal ou sapeur,
- un mécanicien,
- un aide-mécanicien électricien,
- un scaphandrier3Les sapeurs-pompiers de Paris ont acquis leur premier scaphandre, baptisé pieds lourds, en 1914 à la demande du Préfet de Paris., caporal ou sapeur
- deux mariniers, sapeurs.
Après leur service durant l’Exposition Universelle les deux navires sont amarrés au poste de la Monnaie crée en 1938, Quai de Conti à Paris qui loge les équipages des deux bateaux-pompes. La même année ils sont tous deux rattachés à la 4ème compagnie.
Les bateaux-pompes Paris et Lutèce
Longs de 20 mètres, à coque métallique, déplaçant 37 tonnes , ils sont animés par un propulseur Voith-Schneider à six pales lui même alimenté par un moteur Somua4C’est également un moteur Somua 8 cylindres en V qui propulsait le fameux char Somua 1935 S. à huit cylindres de 205 cv.
Ce type de propulseur est un système de propulsion cycloïdal. Il est constitué d’un ensemble de pales verticales orientables, en rotation sous la coque du bateau. Il a été développé en Autriche à partir de 1926 par Ernst Schneider du groupe Voith. Il a été et est toujours utilisé depuis sur des remorqueurs, des ferries, divers engins flottants de chantier… et des bateaux-pompes comme par exemple le Lacydon mis en service en 1964 à Marseille (voir notre article).
L’ensemble leur donne une vitesse de 20 km/heure.
Un faible tirant d’air5Le tirant d’air correspond à la hauteur maximale des superstructures ou des mâts d’un bateau, au-dessus de la ligne de flottaison. (2.90 mètres) leur permet de passer sous les pont de Paris, un faible tirant d’eau6Le tirant d’eau est la hauteur de la partie immergée du bateau qui varie en fonction de la charge transportée. Il correspond à la distance verticale entre la flottaison et le point le plus bas de la coque, généralement la quille. (1.10 mètre) leur permet d’approcher des berges de la Seine.
Ils offrent une capacité hydraulique de 380 m3/heure à 5.5 kg/cm2 de pression, ou 120 m3 à 20 kg/cm271 kg/cm2 équivaut à 0.98 bar., grâce à une pompe alimentée par le moteur de propulsion, une prise de mouvement entrainant l’arbre de propulsion tandis qu’une autre entraine la pompe. Les prises d’eau se trouvent de part et d’autre de la coque, sous la ligne de flottaison, au niveau du collecteur de refoulements.
Une pompe secondaire centrifuge à un étage, destinée à l’épuisement, est animée par un moteur électrique de 19 cv et offre un débit de 240 m3/h à 2 kg/cm2 de pression. Elle permet le renflouement et la remise à flot de navires coulés ou échoués.
Un collecteur de refoulements présente huit orifices de 100 mm, deux de 65 mm et deux de 40 mm. Sur le pont supérieur sont positionnées deux lances Monitor, un canon et deux lances à mousse. Pour les alimenter 450 litres de liquide émulseur en fûts et jerricans sont embarqués.
Un magasin, contenant matériels et équipements, est situé sous le poste de pilotage est est accessible par une trappe. La chambre des machines est à l’arrière, surplombé d’un rouf(Le rouf est une superstructure établie sur un pont supérieur, et ne s’étendant pas d’un bord à l’autre du navire.)) formant pont sur lequel sont réalisées les manœuvres.
Les deux navires durant la Guerre
Avec l’entrée en Guerre les deux bateaux-pompes sont bien évidemment intégrés au dispositif de défense passive. Ils se sont montrés indispensables lors des dégâts provoqués par les bombardements alliés : rupture des canalisations d’eau, destruction des bouches d’incendie, rues rendues inaccessibles du fait d’éboulements d’immeubles…
Les bateaux-pompes8Avec le bateau-pompe L’Ile-de-France mis en service en 1943, lorsqu’ils étaient activés, étaient accompagnés de moyens terrestres : un camion dévidoir porteur de longueurs de tuyaux et une camionnette chargée de matériels : pièces de jonction et accessoires hydrauliques. Grâce à ces éléments les bateaux-pompes devenaient des stations de pompage refoulant dans des établissements de tuyaux utilisés par les sapeurs-pompiers à terre.
Ils pouvaient servir aussi à alimenter des engins-pompes terrestres de grande puissance dont certains avaient mis en service dans la perspective des bombardements. Ces engins étaient engagés pour combattre les feux de grande intensité (entrepôts, usines…) qui pouvaient avoir suivi des attaques aériennes.
Ce couplage des bateaux-pompes avec des engins terrestres en relais perdure après la Guerre.
On sait que l’occupant, en retraite, a voulu créer le maximum de dégâts en quittant Paris insurgé .
Il a par exemple voulu incendier Les grands moulins de Pantin en aout 1944. C’étaient de grandes infrastructures, crées à la Première guerre mondiale, destinées à alimenter la capitale en farine à partir des plaines de la Brie et de la Beauce. Les détruire c’était affamer les parisiens. 22 grosses lances sont été nécessaires pour éteindre cet incendie qui a détruit des milliers de tonnes de farine. L’intervention du bateau-pompe Lutèce a été déterminante.
Le bateau-pompe Paris a connu, quant à lui, une situation bien singulière puisqu’il fut emmené par les Allemands en retraite, toujours en aout 1944. Ils finissent par le saborder et l’abandonner à l’écluse de Laversines dans le département de l’Oise. Après son renflouement il rejoint les Chantiers navals franco-belges, qui l’avaient construit, pour y être réparé. Il est remis en service en 1946.
Une deuxième vie ?
En 1967 les deux navires sont équipés de postes radio.
En 1964 moteurs et pompes à incendie sont hors d’usage et sont remplacés. Leurs nouveaux moteurs Volvo, diesels, développent 300 cv.
Le Paris est retiré du service en 1978. Le Lutèce, quant à lui, est mis à la retraite en 1991, après donc près de 75 ans de service ! Il est mis en cale sèche au centre de secours de Gennevilliers en zone portuaire.
Ce dernier devant fermer en 2015, suite à la réduction du budget de fonctionnement de la Préfecture de police, le bateau est mis en vente. Il est cédé, après une vente aux enchères, à Cultplace, un éditeur de lieux culturels. Ce dernier crée des sites culturels et de spectacle, des complexes événementiels, de scénographie… et envisageait de rénover le bateau-pompe en le transformant en établissement recevant du public, de petite capacité, tout en maintenant sa navigabilité, avec pour port d’attache celui de Pantin.
Notes
↑1 | Deux fourgons d’incendie électriques des pompiers de Paris sont présents dans le cadre du dispositif de sécurité de cette exposition. Ils y sont particulièrement remarqués par le jury chargé d’évaluer les innovations (voir notre article). |
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↑2 | Également le bateau-pompe Louis Colet construit par la Société française de construction navale, anciennement Chantiers navals franco-belges, toujours située à Villeneuve-le-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, en région parisienne. |
↑3 | Les sapeurs-pompiers de Paris ont acquis leur premier scaphandre, baptisé pieds lourds, en 1914 à la demande du Préfet de Paris. |
↑4 | C’est également un moteur Somua 8 cylindres en V qui propulsait le fameux char Somua 1935 S. |
↑5 | Le tirant d’air correspond à la hauteur maximale des superstructures ou des mâts d’un bateau, au-dessus de la ligne de flottaison. |
↑6 | Le tirant d’eau est la hauteur de la partie immergée du bateau qui varie en fonction de la charge transportée. Il correspond à la distance verticale entre la flottaison et le point le plus bas de la coque, généralement la quille. |
↑7 | 1 kg/cm2 équivaut à 0.98 bar. |
↑8 | Avec le bateau-pompe L’Ile-de-France mis en service en 1943 |