Des bateaux-pompes et des tuyaux


Les bateaux-pompes

Pour beaucoup les bateaux-pompes sont les fers de lances de la lutte contres les feux de navires. Et c’est vrai ! Pour n’en citer que quelques uns rappelons nous celui du transatlantique français Normandie à New York en février 1942 où plusieurs bateaux-pompes et remorqueurs ont (trop ?) déversé des trombes d’eau sur le navire en flammes. Plus près de nous citons encore l’incendie du pétrolier libérien Olympic Honour en avril 1966, ou encore celui du ferry Saint-Clair en aout 1992, tous deux dans le Port de Marseille où les bateaux-pompes du Bataillon de marins-pompiers sont intervenus…

Au cours de leur histoire pourtant, les bateaux-pompes se sont illustrés dans d’autres occasions et en particulier le soutien aux forces terrestres lorsque de grandes quantités d’eau sont nécessaires pour lutter contre d’importants sinistres sur la terre ferme à proximité des quais ou rivages.

L’appui terrestre

Bateau-pompe John P. Dowd en action
Bateau-pompe John P. Dowd en action

Lorsqu’un incendie se produit près d’un quai, les bateaux-pompes, équipés de puissantes pompes et avec de l’eau en quantité illimitée, font agir leurs puissants canons à eau ou à mousse pour une attaque massive directe. Mais le sinistre peut se produire plus loin, hors de portées des canons des bateaux-pompes mais à portée d’établissements de tuyaux de grandes longueurs.

Là aussi les bateaux-pompes peuvent agir de manière efficace. Assistés d’un engin de type dévidoir, porteur de longueurs de tuyaux, ils peuvent alimenter plusieurs établissements de tuyaux, du plan d’eau vers le sinistre, avec une bonne pression du fait de la puissance de leurs pompes. Ainsi il n’est pas rare dans l’histoire des bateaux-pompes de les voir associés à un engin dévidoir de manière à projeter leur action plus loin sur la terre ferme.

D’ailleurs le premier bateau-pompe de l’histoire américaine, une embarcation sur laquelle les pompiers de New York avaient installé vers 1804 une pompe à bras de type « moulin à café », a sans doute été utilisé exclusivement en assistance des forces terrestres. Halé par les pompiers depuis la terre jusqu’à un rivage à proximité du sinistre où il était amarré, il pouvait alors aspirer l’eau du fleuve Hudson vers les établissements de tuyaux.

Des bateaux-pompes et des tuyaux

C’est toujours à New York que dès 1889 est mis en service un dévidoir hippomobile à quatre roues réalisé par les pompiers de New York et associé en intervention aux bateaux-pompes. Il portait deux dévidoirs de tuyaux à larges diamètres et des pièces de jonctions adaptées. A l’époque neuf bateaux-pompes servaient la ville et donc neuf dévidoirs de ce type ont été mis en service.

Les pompiers de Seattle, vers 1900, mettent en départ un engin semblable, toujours hippomobile et à quatre roues, stationné à la Fireboat Company 5 sur Alaskan Way & Madison Street.
En 1906, à San Francisco, de violents incendies se sont déclarés après le tremblement de terre. Les pompiers de la ville, ne disposant pas de bateaux-pompes mais aidés de deux remorqueurs équipés de pompes à incendie, ont dû faire face à un cruel manque d’eau, les canalisations du réseau général ayant été détruites par le séisme. La leçon sera retenue et trois ans plus tard deux bateaux-pompes jumeaux, le Dennis T.Sullivan et le David Scannel, sont mis en service et une de leurs missions principales sera l’alimentation en eau des pompiers en cas de séisme.

L’étude de ce séisme par les pompiers de San Francisco, au début des années 1980, les a conduits à concevoir un scénario d’alimentation en eau en cas de rupture du réseau. Au départ de la chaine un bateau-pompe, le Phoenix, utilisé comme station de pompage et qui alimente un portable hydrant ou poteau à incendie portable, en fait une pièce de jonction alimentée par des tuyaux de 5 pouces (127 mm). Plusieurs de ces hydrants (de trois à cinq) sont portés par les dévidoirs automobiles chargés de les mettre en œuvre. Des engins-pompes peuvent s’intercaler en relais et relever la pression. C’est exactement ce scénario qui sauvera la Marina de Loma Pietra lors du séisme de 1989.

Le même concours salvateur d’un bateau-pompe s’est produit lors du grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji, à Kobe au Japon, en 1995.

Plus tard, vers 1920, les pompiers de Detroit, dans l’État du Michigan, mettent en service un boat tender sur châssis Arhens-Fox armé, celui-là, de deux puissants canons à eau sur affuts.

Citons encore le cas des pompiers de Los Angeles qui accompagnaient l’action de leurs bateaux-pompes de celle de dévidoirs automobiles (hose wagons selon la terminologie américaine) sur un magnifique châssis Mack de 1925. Ces boats tenders étaient stationnés à proximité des bateaux-pompes.

A New York après les attentats du 11 septembre 2001 les bateaux-pompes de la Division Marine des pompiers de New York sont appelés à la rescousse1Le premier à répondre est le John Mc Kean. Ce dernier, les autres bateaux-pompes et les autres embarcations du port vont participer à l’évacuation des nombreuses personnes, choquées, désorientées et prises au piège au sud de Manhattan. .
Amarrés à un quai à proximité ils pompent pendant quatre jours et quatre nuits d’énormes quantités d’eau nécessaires aux pompiers pour lutter contre les nombreux incendies: feux de bâtiments, feux de voitures… L’effondrement des tours avait largement endommagé le réseau d’eau.
Le bateau-pompe John J. Harvey, pourtant à la retraite depuis 1999, est réactivé et participe aux interventions. Il avait été construit en 1931 !

Vedette Ile-de-France pendant l'incendie de Notre-Dame
Vedette Ile-de-France pendant l'incendie de Notre-Dame

En France aussi les bateaux-pompes se sont faits remarquer par leurs actions en assistance des forces terrestres. Ainsi en 1938 lors de l’incendie du magasin Les Nouvelles Galeries les sapeurs-pompiers marseillais (le Bataillon de marins-pompiers ne prendra ses fonctions qu’en 1939) ont eux aussi dû faire face à un manque d’eau. Des historiens évoquent la possibilité d’une coupure d’eau volontaire par le service des eaux. En effet ce dernier, qui n’aurait pas été informé de l’incendie et notant une forte demande en eau due à l’action des pompiers, aurait cru à une fuite accidentelle et aurait tout simplement fermé les vannes de départ du réseau ! Le bateau-pompe marseillais, l’Alerte, se présente dans le Vieux Port au bas de la Canebière moins de 40 minutes après avoir été activé. Il développera cinq lignes d’eau, dont la pression sera relevée par des autopompes et motopompes, jusqu’au sinistre situé 600 mètres plus loin. Sept grosses lances salvatrices pourront ainsi être établies.

Le bateau-pompe Lacydon de Marseille combat un feu de forêt !
Le bateau-pompe Lacydon de Marseille combat un feu de forêt !

A Paris où pendant la Seconde Guerre mondiale, et dès 1937, les vedettes de premier secours des sapeurs-pompiers parisiens étaient appuyées par un fourgon dévidoir. Par exemple celui du centre de secours Bitche, sur les bords du canal de l’Ourcq, 2 000 mètres de tuyaux de 100 mm de diamètre, était activé en même temps que la vedette Marne.

Plus tard l’appel aux bateaux-pompes déclenchait l’intervention des grandes puissances « terrestres ». Le Lutèce, mis en service en 1937, était accompagné de l’ensemble de grande puissance (EGP) de la caserne Malar. L’Ile-Saint-Louis, mis en service en 1960, était accompagné du dévidoir de grande puissance, basé à la caserne Colombiers, puis plus tard par la grande puissance dévidoir de la caserne Malar, GPD 2. Le bateau-pompe, équipé d’orifices de refoulements de 150 mm pouvait alors servir de station de pompage en refoulant vers l’engin dévidoir qui portaient des entrées d’alimentation adaptées.

Plus récemment, en 2019, la vedette Ile-de-France apporte un soutien depuis la Seine en alimentant plusieurs lignes utilisées par les pompiers de Paris qui luttent contre l’incendie de la cathédrale Notre-Dame…

Les marins-pompiers de Marseille peuvent engager un bateau-pompe pour lutter contre… un feu de forêt ! Ceci lorsque l’incendie en question se produit en zones boisées près du rivage. Un bateau-pompe s’approche de la côte et des longueurs de tuyaux sont dévidés vers la terre ferme à l’aide d’une embarcation légère. Les tuyaux sont maintenus en surface par des bouées. Cette ligne d’eau, alimentée par le bateau-pompe, peut alors apporter une grande quantité d’eau là où celle-ci fait souvent défaut.

Les bateaux-pompes amenés à apporter cette assistance aux forces terrestres ont été mis en service aux cœurs de zones industrielles où les risques de sinistres sont plus importants. C’est le cas par exemple du bateau-pompe franco-allemand Europa 1 mis en service à Strasbourg en 2002 sur le Rhin supérieur où de nombreuses  industries chimiques et pétrochimiques se sont installées. En Allemagne le Groupe Hoechst met en service en 1961 un bateau-pompe destiné à protéger ses installations chimiques sur le Main.

Un bateau-pompe terrestre

En avril 1963 sur l’Ile de Staten à New York un violent incendie détruisit une grande partie des habitations et des bâtiments. Plus de 200 véhicules sont alors partis en fumée. Le manque d’eau, consécutif à une période de sécheresse, avait considérablement compliqué la tâche des pompiers new-yorkais. Deux ans plus tard ces mêmes pompiers mettaient en place le concept de Super Pumper. Un châssis Mack tractait une semi-remorque portant un moteur Napier et animant une pompe Delaval d’un débit de… 33 000 l/min d’eau à une pression de 24 bar ! Un second châssis de même type tractait, lui, une semi-remorque dévidoir et un canon à eau analogue à ceux portés par les bateaux-pompes. D’aucuns d’ailleurs n’hésiteront pas à baptiser ce système  land fireboat, c’est à dire de bateau-pompe terrestre. Peut être aussi parce que le concepteur en avait été William Francis Gibbs, architecte naval, qui avait dessiné, dans les années 1930, les plans du fameux bateau-pompe new-yorkais Firefighter. Le Super Pumper ne pouvait donner sa pleine puissance qu’associé à un bateau-pompe et c’est ainsi que différents sites d’accostage avaient été présélectionnés et répertoriés de manière à ce que les bateaux-pompes puissant approcher le rivage et par là alimenter cet incroyable engin-pompe terrestre.

De la nécessité de maintenir des bateaux-pompes

Incendies après le séisme de Kobé en 1995
Incendies après le séisme de Kobé en 1995

On le voit, l’action des bateaux-pompes dans l’histoire de la lutte contre les incendies, a souvent été déterminante. En particulier au cours de sinistres très importants qui, fort heureusement, ne sont pas fréquents. De ce fait s’est posé régulièrement la question de leur prix de revient, à l’achat et à l’entretien, mis en regard de leur nombre d’interventions peu élevé2A l’époque où les bateaux-pompes étaient propulsés par des chaudières à vapeur, le maintien de ces dernières en chauffe, alors que les navires étaient à quai, consommait plus de charbon que pendant les interventions !.

C’était le cas du bateau-pompe Phoenix de San-Francisco. En 1989 il est en sursis; on jugeait son maintien couteux et inutile. Et puis la même année survient un tremblement de terre meurtrier et destructeur qui mit à mal les réseaux d’adduction, laissant les pompiers sans eau pour lutter contre les très violents incendies qui avaient suivi le séisme. Pendant plusieurs jours le sort de la Marina de Loma Pietra, où mouillaient des navires des plus couteux et des plus modernes, était suspendue au travail d’un bateau-pompe mis en service près d’un demi-siècle plus tôt3Il aurait pompé près de 20 millions de litres d’eau en 15 heures! ! Un an plus tard les habitants, reconnaissants, ont ouvert une souscription qui a permis aux pompiers de la ville d’acquérir un second bateau-pompe, le  Guardian.

En conclusion gardons à l’esprit ce proverbe des pompiers new-yorkais: Si vous avez besoin d’un bateau-pompe, rien d’autre ne fera l’affaire !

Notes

Notes
1 Le premier à répondre est le John Mc Kean. Ce dernier, les autres bateaux-pompes et les autres embarcations du port vont participer à l’évacuation des nombreuses personnes, choquées, désorientées et prises au piège au sud de Manhattan.
2 A l’époque où les bateaux-pompes étaient propulsés par des chaudières à vapeur, le maintien de ces dernières en chauffe, alors que les navires étaient à quai, consommait plus de charbon que pendant les interventions !
3 Il aurait pompé près de 20 millions de litres d’eau en 15 heures!