L’alerte aux populations : Le tocsin et les sirènes


Si les cris d’effroy ont été le premier réflexe pour rassembler les habitants pour lutter contre une menace commune, le tocsin a été le premier dispositif d’alerte des populations. L’urbanisme croissant a eu raison de ce moyen limité (quelques km) et il s’est montré insuffisant dès le 19e siècle dans les cités importantes. Par ailleurs les deux guerres mondiales ont fait émerger des risques majeurs, en particulier la menace des raids aériens, qui ont supposé des moyens d’alerte plus larges. Les sirènes d’alerte ont remplacé le tocsin. Enfin avec l’arrivée de nouveaux risques, technologiques, terroristes… il a fallu encore faire évoluer les moyens d’alerte en y intégrant nos nouveaux outils de communication et d’information.

Le tocsin

Le tocsin sur le chemin de ronde de Briançon (Hautes-Alpes)
Le tocsin sur le chemin de ronde de Briançon (Hautes-Alpes)

Le tocsin était une sonnerie de cloches pour alerter la population d’un danger imminent. Utilisé en particulier pour organiser la lutte contre les incendies, il permettait de rassembler la population pour créer une chaîne de seaux entre un point d’eau et un incendie, pour une projection directe d’abord, puis pour alimenter les pompes à bras apparues au début du XVIIe siècle.

A part quelques lieux bien pourvues en cloches, il n’y avait pas vraiment de cloche dédiée uniquement à cet usage : c’était souvent la cloche de l’horloge ou la grosse cloche de l’église, cela dépendait de l’époque et de l’étendue de l’agglomération ou des habitudes locales. L’essentiel surtout, c’était le signal, donc une sonnerie très différenciée des sonneries courantes de l’heure et des offices. Cette différentiation pouvait être obtenue :

  • par la tonalité de la cloche elle même. Le braillard par exemple, cloche évasée à la base, donne un tintement désagréable, différent du son harmonieux habituel des cloches
  • par le rythme rapide de tintement. La cloche est frappée selon un rythme d’environ 90 à 120 coups par minute soient près de deux coups par seconde à l’aide d’un battant tiré par une corde ou avec un marteau. La cloche, à ce rythme, n’avait pas le temps de résonner.

Parfois la cloche utilisée est fixe (d’où l’utilisation fréquente des cloches d’horloge) afin de permettre au sonneur d’actionner le battant de façon répétée plus rapide que d’ordinaire, à coups pressés. Parfois elle est équipée de deux marteaux pour faciliter ce rythme rapide de tintement.

Quelquefois les coups de cloches qui suivent la première série du tocsin correspondaient à la direction du sinistre, et permettaient d’orienter les volontaires et leur permettre de rejoindre les sapeurs-pompiers pour leur prêter main-forte.

Le tocsin sur le chemin de ronde de Briançon (Hautes-Alpes)
Le tocsin sur le chemin de ronde de Briançon (Hautes-Alpes)

La nécessité de surveiller le mouvements de troupes, de brigands et pilleurs par les citadins les conduisit à mettre en place le Guet depuis les points hauts de la cité (clochers, beffrois, fortifications et chemins de rondes…). La cloche du tocsin y était souvent installée. De ces positions on pouvait plus facilement détecter les départs d’incendie et alerter la population.

Le tocsin a perduré dans les zones rurales jusqu’au milieu du XXe siècle, certains villages l’utilisant encore dans les années 1960 voire même plus tard (par exemple à Hessenhein dans le Bas-Rhin où une petite cloche suspendue à un petit clocheton de façade en pierre était sonnée manuellement à l’aide d’une chaîne reliée à un câble depuis les combles de la mairie pour signaler aux pompiers un incendie dans la commune et ce jusqu’au début des années 1970).

Après la loi de relative à la séparation de l’État et de l’Église un décret d’application de 1906 précise « que les cloches des édifices servant à l’exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours.

L’événement le plus (sinistrement) célèbre qui a provoqué l’activation du tocsin a été la déclaration de la Première guerre mondiale le 2 août 1914. Ce jour là il appelait à la mobilisation, décrétée la veille, des 3,8 millions de réservistes qui devaient rejoindre les 800.000 soldats déjà en service actif. Au son de ce tocsin des hommes, « sortis des champs », ont accouru vers la remise des sapeurs-pompiers pensant devoir lutter contre un incendie. C’est un brasier bien plus important qui les attendait…

Le Réseau national d’alerte (RNA)

Sirène d'alerte aux populations à Colmar (Haut-Rhin)
Sirène d'alerte aux populations à Colmar (Haut-Rhin)

La crainte de dégâts matériels et pertes humaines provoqués par les bombardements aériens née avec la Première guerre mondiale s’est trouvée confirmée durant la Seconde. Le Blitz en est un exemple, le bombardement de Dresde en Allemagne en 1945 en est un autre avec plus de 25 000 victimes.

A la fin de la Seconde guerre mondiale on a voulu se doter de moyens d’alerte pour la protection des populations civiles contre les dangers de guerre et – en temps de paix – contre les sinistres de grande ampleur. Le réseau de surveillance et d’alerte hérité de la Défense passive est développé et intégré au Réseau national d’alerte (RNA) fondé en 1948. Le Service national de la protection civile est fondé en 1951. De nouvelles sirènes sont installées majoritairement le long des frontières avec une extension sur tout le territoire national durant la Guerre froide (1947-1991). Et comme c’est de l’Est qu’on craignait une menace militaire, l’implantation des sirènes y est plus marquée.

C’est la menace militaire de raids aériens qui a longtemps préoccupé et c’est pourquoi le réseau est géré par l’Armée de l’air même s’il protège aussi les populations contre les menaces de sécurité civile, naturelles et technologiques.

Le réseau a atteint plus de 4 500 sirènes. Ces installations sont interconnectés par des liaisons filaires reliés à six bureaux généraux de l’alerte (centres de détection et de commandement de l’armée de l’air) et 42 bureaux de diffusion et de l’alerte (implantés dans les locaux des préfectures).

Les français connaissent l’existence de ce réseau par ses essais de fonctionnement qui ont lieu le premier mercredi de chaque mois.

Le signal d’alerte est formé de trois répétitions d’une minute et 41 secondes. Ce cycle est historique: les premières sirènes, électromécaniques, risquaient de disjoncter au-delà d’une minute de fonctionnement. Les 41 secondes correspondant à un délai technique de montée et de descente du son. L’alerte est constituée de trois cycles successifs séparés par un intervalle de 5 secondes.

Plusieurs acteurs, à différents échelons, ont autorité pour déclencher l’alerte: le ministère de l’Intérieur, l’Armée, le préfet et le maire.

Il existe aussi des sirènes appartenant à des acteurs privés prévenant d’un danger industriel spécifique, lié par exemple à une usine (sites Seveso) ou à un barrage.

Le Système d’alerte et d’informations aux populations (SAIP)

A la fin des années 2000 constat1Rapport Hirel, 2002 est fait que:

  • les risques menaçant les populations civiles ont évolué et se sont diversifiées, en particulier les menaces technologiques,
  • le Réseau national d’alerte est devenu obsolète, de nombreuses installations étant devenues hors d’usage faute d’entretien et de maintenance,
  • certaines sirènes industrielles (sirènes des sites Seveso ) ne peuvent être activées que par les exploitants et non par les autorités chargées de la direction des opérations de secours (maires et préfets) dont l’alerte est une des responsabilités,
  • les communes françaises étant inégalement équipées en moyens d’alerte, il existe un certain nombre de zones blanches en dehors des périmètres de couverture des systèmes d’alerte.

La modernisation de l’alerte est ainsi entreprise en 2010. Le Réseau national d’alerte est remplacé par le Système d’alerte et d’information des populations (SAIP). Les sirènes existantes sont mise en réseau (réseau câblé du ministère de l’Intérieur.) et sont complétées par d’autres sirènes. Leur commande est assurée par informatique. On peut ainsi faire sonner seulement les sirènes les plus proches de la zone sinistrée afin de d’éviter un mouvement de panique général. C’est ce qui s’est passé lors de l’incendie de l’usine Lubrizol, en septembre 2019, à Rouen, deux sirènes seulement sur les trente-et-une que compte l’agglomération ont été activées.

Mais si le vecteur principal de l’alerte est constitué par la sirène, l’alerte et l’information des populations ne sont cependant pas circonscrites à ce seul moyen2Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. C’est pourquoi ce nouveau réseau d’alerte est complété par des flux d’informations, par exemple via les médias de réseaux sociaux : Twitter, Facebook, Instagram, Dailymotion… mais également par des panneaux à messages variables, des messages en radios et en télévision.

On pense à y associer massivement le vecteur de la téléphonie mobile, par exemple avec des SMS géolocalisés. Ou encore le cell broadcast ou diffusion cellulaire, qui permettrait d’envoyer des messages aux seuls téléphones qui « bornent » dans une zone précise. Des tests ont été effectués mais il existe de fortes contraintes budgétaires et techniques. En 2018 le Parlement européen a approuvé la création de ce système d’alerte et a émis une injonction de mise en œuvre par les états d’ici 2022.

Les deux dernières fois où les sirènes ont retenti étaient en septembre 2019 lors de l’incendie de Lubrizol à Rouen et en novembre 2019, à Nice, déclenchée par le préfet des Alpes-Maritimes, suite à de très violentes intempéries. Les autorités craignaient des crues importantes et des risques d’inondation.

Remerciements

  • Jacques PETER pour ces photographies de sirènes d’alerte de sa bonne ville de Colmar
  • Eric SUTTER pour son érudition sur la campanologie, c’est à dire l’étude des cloches, clochettes et carillons (Voir le site consacrée à cette étude)
  • Le Service du Patrimoine de la Ville de Briançon

Notes

Notes
1 Rapport Hirel, 2002
2 Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises