Le bateau-pompe Edward M. Cotter de Buffalo (USA, 1900)


Buffalo au cœur des Grands Lacs

Buffalo, État de New York
Buffalo, État de New York

Buffalo est une ville des États-Unis située dans l’ouest de l’État de New York, sur le lac Érié. Elle s’étend sur les rives de la rivière Niagara, qui relie le lac Érié au lac Ontario. Ces deux derniers font parties des cinq Grands Lacs d’Amérique du Nord, situés entre les États-Unis et le Canada.

À la fin de la construction du canal Érié en 1825, Buffalo devient l’extrémité occidentale de la voie navigable de 840 km reliant New York et donc l’océan Atlantique. Elle a donc bénéficié d’un essor économique majeur du fait de l’établissement d’un impressionnant trafic maritime de marchandises des navires océaniques de l’océan Atlantique aux Grands Lacs.

Buffalo a ainsi été une des plus importantes villes du pays, et de loin son plus gros port intérieur avec ses énormes silos et élévateurs1Un élévateur à grains est une structure contenant un élévateur à godets ou un convoyeur pneumatique qui ramasse le grain d’un niveau inférieur et le dépose à un niveau supérieur, typiquement dans un silo de stockage des céréales. Il sert à augmenter la capacité de transport autant que celle d’intervention sur les marchés céréaliers. Le premier de ces élévateurs a été justement construit à Buffalo en 1842. à grains et ses nombreux sites industriels.

Les bateaux-pompes de Buffalo

Du fait des risques inhérents au développement économique de la ville et du port de Buffalo les pompiers de Buffalo se sont équipés dès la fin du XIXe siècle de deux bateaux-pompes :

Bateau-pompe John M. Hutchinson
Bateau-pompe John M. Hutchinson

Bateau-pompe George R. Potter
Bateau-pompe George R. Potter

  • George R. Potter, en 1886, long de 24 mètres, d’une capacité d’environ 14 500 l/min, affecté à la 29e compagnie des pompiers de Buffalo, il est retiré du service en 1930,
  • John M. Hutchinson2John M. Hutchinson a été l’un des propriétaires de navires les plus anciens et les plus prospères sur les lacs., en 1892, long de 24 mètres, d’une capacité d’environ 17 000 /min, affecté à la 23e compagnie.

Leurs coques en acier leur permettaient d’être utilisés comme brise-glaces légers et ils secouraient souvent des navires de pêcheurs pris par les glaces, d’autant que la navigation sur le lac Érié est difficile (hauts-fonds, lames de fond résultant d’intempéries…)3Plusieurs centaines de naufrages se sont produites. Environ 277 épaves ont été découvertes, selon une estimation datant de 2020..

Le bateau-pompe William S. Grattan

L’arrivée

Bateau-pompe William S. Grattan
Bateau-pompe William S. Grattan

Le développement économique de la ville et du port se poursuivant et la nécessité de disposer d’un brise-glace plus puissant imposeront la mise en service d’un troisième bateau-pompe. Par ailleurs il était nécessaire de renforcer l’alimentation en eau des bornes à incendie de la ville en cas de sinistres. Ce nouveau bateau-pompe est destiné à jouer le rôle de station de pompage.

Construit par Crescent Shipbuilding à Elizabeth dans l’état du New Jersey aux États-Unis, il est baptisé William S. Grattan en novembre 1900. Il est acheminé depuis son chantier de construction en remontant le côte Atlantique, empruntant le canal Érié, traverse le lac Ontario pour arriver enfin à son port d’attache à Buffalo en bordure du lac Érié. Ce périple, sans encombre, a duré 18 jours. Durant les derniers kilomètres il est escorté par les deux autres bateaux-pompes de Buffalo George R. Potter et le John M. Hutchinson, son arrivée est largement fêté devant un large public !

Bateau-pompe William S. Grantan
Bateau-pompe William S. Grantan

William S. Grattan est long de 36 mètres et déplace 274 tonnes. Il est propulsé par une hélice simple animée par deux chaudières à vapeur Babcock & Wilcox, alimentées par du charbon, d’une puissance de 900 cv, lui donnant une vitesse de 13 nœuds (environ 24 km/h).
Il met en œuvre trois pompes à incendie à pistons doubles actions, également entrainées par la vapeur, lui donnant une capacité de 34 000 l/min à 10 bar de pression. Il est équipé de trois lances-canons, deux à l’avant et une à l’arrière.
Sa coque en acier suédois, sa puissance, lui permettent d’être un brise-glace efficace pour libérer des voies de navigation sur le lac Érié. Par ailleurs il brise les embâcles de la rivière Buffalo, permettant à l’eau des affluents en amont de s’écouler librement pour aider à prévenir les inondations sur une aire bien plus large que la seule ville de Buffalo.

L’incendie de 1928, les chaudières explosent !

Brochure Babcock & Wilcox
Brochure Babcock & Wilcox

Le 28 juillet 1928, dans le nuit, un incendie se déclare à bord de la barge pétrolière Cahill. Positionnée, sur une rive de la rivière Buffalo, en amont du port d’attache du bateau-pompe Grattan. La barge porte 5 000 barils de pétrole brut. De très importants risques de propagation de l’incendie menacent la raffinerie Atlas Oil Company et ses réservoirs de produits pétroliers.

Le bateau-pompe Grattan est activé et fait route vers le sinistre sous les ordres du lieutenant pompier Schickenbantz. L’ingénieur Thomas Lynch, en salles des machines,  pousse les chaudières. Dès son positionnement le bateau-pompe active ses lances-canons. Sur la rive les engins-pompes s’alimentent à partir de la rivière.
Au milieu de la matinée le maire de Buffalo embarque à bord du Grattan, accompagné de journalistes, et félicite l’équipage du bateau-pompe. Peu après son départ la barge pétrolière rompt ses amarres et dérive pour aller percuter le pétrolier McColl. Ce dernier s’embrase à son tour. Le sinistre est un véritable feu d’enfer et le bateau-pompe est au cœur de la lutte au milieu des flammes. L’équipage tient bon mais une terrible explosion des chaudières dévaste la salle des machines et les superstructures. Ne subsiste quasiment que la coque en acier. Tout ce qui est combustible est détruit. Plusieurs membres d’équipage sont gravement blessés et brulés dont le lieutenant Schickenbantz, le pilote Hylant et son frère… Le corps sans vie de l’ingénieur Lynch ne sera retrouvé que 17 heures plus tard lorsque l’incendie sera enfin maitrisé…

Le Grattan est donc hors service et de houleux débats s’installent pour décider de son avenir : réhabilitation ou remplacement ? Les avis du maire(Francis Xavier Schwab) et du responsable des services d’incendie (le Fire commissioner James W. Hadden) divergent. Le premier souhaite un navire plus polyvalent utilisable par la police (nous sommes à l’époque en période de Prohibition et la contrebande d’alcools est importante) alors que le second milite en faveur d’un navire complètement dédié à la lutte contre les incendies comme l’est le Grattan

L’hésitation va durer un an et demi ! Durant cette période d’incertitude c’est le bateau-pompe George R. Potter qui remplace le William S. Grattan. Enfin en 1930 un nouveau maire, et la dépression de 1929, vont faire pencher la balance vers une réhabilitation du navire, moins onéreuse que son remplacement. Une offre d’une compagnie ferroviaire pour un bateau-pompe, le William A McGonagle, est rejetée, le fire commisionner ne voulant pas d’un bateau-pompe de seconde main.

Le nouveau William S. Grattan

Bateau-pompe William S. Grantan
Bateau-pompe William S. Grantan

Le bateau-pompe Grattan, rénové par la Buffalo Dry Dock Company, fait donc son retour. Les chaudières à charbon ont été remplacées par des chaudières à mazout. Les moteurs ont été également remplacés.

Une quatrième lance-canon est ajoutée sur le toit de la timonerie. Celle de l’arrière est déplacée au sommet d’une tour fixe de plus de 6.50 mètres, toujours sur le pont arrière.

La timonerie a été entièrement reconstruite. Deux réservoirs de liquide émulseurs sont ajoutés, chacun d’une capacité de plus de 850 litres. La capacité hydraulique du navire reste toutefois inchangée à 34 000 l/min.

Le nouveau navire teste ses nouvelles pompes et lances-canons en novembre 1930 devant un public de plus de 3 000 spectateurs!

William S. Grattan devient Edward M. Cotter !

Bateau-pompe Edward M. Cotter
Bateau-pompe Edward M. Cotter

Au début des années 1950 force est de constater que les performances générales du bateau-pompe se sont détériorées, les chaudières ne produisant plus que 40% de leur puissance initiale. Ce déficit est dommageable au service incendie mais également aux capacités de brise-glace du navire. De plus des fuites de vapeur chaude risque de blesser les membres d’équipage. Il est décidé d’engager une seconde réhabilitation qui est réalisée en 1953 par la Sturgeon Bay Shipbuilding & Dry Dock Company (État du Wisconsin).
La motorisation est complètement remplacée. Le navire est propulsé par quatre moteurs diesels Caterpillar à 12 cylindres en V d’une puissance de 400 ch chacun. A deux de ces moteurs sont attelées quatre pompes à incendie centrifuges Delaval à deux étages d’une capacité de plus de 14 000 l/min à 11 bar de pression ! Les deux autres moteurs peuvent également entrainer les pompes mais ne sont plus alors disponibles pour la propulsion. Deux hélices animent le navire au lieu d’une seule. Il atteint alors la vitesse de 11.5 nœuds (environ 21 km/h).

Bateau-pompe Edward M. Cotter
Bateau-pompe Edward M. Cotter

Deux autres moteurs diesels Caterpillar à quatre temps entrainent une génératrice qui fournit le courant électrique du bord. Les deux cheminées initiales sont remplacées par deux corps de cheminées plus basses. Elles renferment deux exhausteurs pour l’évacuation des gaz d’échappement des moteurs. Elle sont marquées du sigle BFD pour Buffalo Fire Department.
La tour fixe est remplacée par une plateforme hydraulique pouvant atteindre une hauteur de 4.50 mètres au dessus du pont et au sommet de laquelle est toujours positionnée une lance-canon. Une cinquième lance-canon est installée sur le pont arrière.

Le navire reprend le chemin de Buffalo en décembre 1953 et est rebaptisé Firefighter puis rapidement Edward M. Cotter du nom d’un président de l’Union des pompiers de Buffalo décédé en 1954. Il est affecté à la 20e compagnie des pompiers de Buffalo basée 155 Ohio Street sur une rive de la rivière Buffalo.

Un bateau-pompe international ?

Le 5 octobre 1960 le complexe céréalier Maple Leaf Mills,4Les explosions de cet type d’installations ne sont pas rares et sont dues à l’inflammabilité des poussières de céréales et de l’auto-échauffement consécutif à la fermentation des grains… situé dans l’emprise du Port Colborne dans l’état d’Ontario au Canada est la proie des flammes.
Ce port industriel, non protégé par un bateau-pompe, est situé au nord du lac Érié. L’incendie est très violent et après deux jours de lutte les autorités canadiennes demandent l’engagement en renfort du bateau-pompe de Buffalo, plus au sud.

Le 7 octobre, vers 20h, alors qu’il fait déjà nuit, Edward M.Cooter fait route vers Port Colborne. Il embarque un renfort supplémentaire de pompiers terrestres de la huitième compagnie parmi son équipage. C’est la première fois qu’un bateau-pompe américain traverse une frontière pour une intervention5Un renfort terrestre était déjà intervenu depuis Buffalo lors du Grand incendie de Toronto en 1904.. Le navire n’étant pas équipé d’instruments de navigation hauturière (radar…) il est escorté par une embarcation des garde-côtes. Il arrive sur site après deux heures de route et va lutter contre l’incendie pendant près de quatre heures en activant ses puissantes lances-canons. Son engagement a été déterminant dans la maitrise du sinistre.

Bateau-pompe opérationnel et… attraction touristique !

Invitation pour une mini croisière !
Invitation pour une mini croisière !

Au début des années 1950 une nouvelle voie maritime est ouverte du port de Montréal au lac Érié. Le trafic fluvial contourne alors la ville de Buffalo qui connait ainsi une brusque désindustrialisation.
La ville, après une période de stress économique, devient alors un centre culturel, universitaire et médical. Le tourisme se développe et on surnomme Buffalo la ville de la lumière, la ville reine des lacs

Si Le bateau-pompe Cotter reste opérationnel, il est inscrit en 1996, au registre des monuments historiques, plus précisément du National Historic Landmark et du National Register of Historic Places. Il est donc devenu une attraction touristique, participe à de nombreuses cérémonies ou événements…
Il porte le titre du plus ancien bateau-pompe encore en service aux États-Unis et probablement dans le monde ! En août 2000, on a célébré son 100e anniversaire avec des festivités et la présence de nombreux membres de l’ancien équipage et de la famille Cotter des États-Unis et d’Irlande.

En 2016 l’association Fireboat EM Cotter Conservancy, Inc. a été formée avec pour objectif d’organiser des collectes de fonds pour assurer la maintenance couteuse du navire (hélices, arbres, coque…). Elle organise des mini-croisières pour le grand public avec pizzas, pop-corn et bières à la pression, tombolas, boutique de vente d’objets et orchestre !

Une collection de photographies

Notes

Notes
1 Un élévateur à grains est une structure contenant un élévateur à godets ou un convoyeur pneumatique qui ramasse le grain d’un niveau inférieur et le dépose à un niveau supérieur, typiquement dans un silo de stockage des céréales. Il sert à augmenter la capacité de transport autant que celle d’intervention sur les marchés céréaliers. Le premier de ces élévateurs a été justement construit à Buffalo en 1842.
2 John M. Hutchinson a été l’un des propriétaires de navires les plus anciens et les plus prospères sur les lacs.
3 Plusieurs centaines de naufrages se sont produites. Environ 277 épaves ont été découvertes, selon une estimation datant de 2020.
4 Les explosions de cet type d’installations ne sont pas rares et sont dues à l’inflammabilité des poussières de céréales et de l’auto-échauffement consécutif à la fermentation des grains…
5 Un renfort terrestre était déjà intervenu depuis Buffalo lors du Grand incendie de Toronto en 1904.