Les bateaux-pompes de Seattle (depuis 1890)


La Cité Émeraude

Seattle en 1899
Seattle en 1899

Seattle est la plus grande ville du Nord Ouest des États-Unis. Elle est située sur un bras de mer, le Puget Sound et est entourée de forêts qui lui ont valu le surnom de Cité émeraude. Ces forêts lui ont permis, au XIXème siècle, d’être la capitale de l’industrie du bois.

Ainsi sur les docks du port étaient installés des scieries, de fours à séchage, de très grands entrepôts en bois… De nombreux navires, en bois également, y évoluaient pour le chargement des cargaisons. Les risques d’incendie et d’embrasement étaient énormes.

Seattle, État de Washington, États-Unis
Seattle, État de Washington, États-Unis

Les bateaux-pompes de Seattle défendent les ports, quais et berges du Puget Sound et les navires qui y évoluent ou y stationnent. Mais également ceux des lacs d’eau douce Union et Washington situés au nord et à l’est de la ville. Ces lacs sont accessibles par un canal, le Lake Wasihngton Ship Canal barré de plusieurs écluses puisque lacs et Puget Sound présentent une différence d’altitude de plus de six mètres. L’acheminement d’un bateau-pompe pour intervention depuis Seatle jusqu’au canal et aux lacs auxquels il conduit prend plus d’une heure. Après un incendie qui a causé d’importants dégâts en 2002 décision a été prise de positionner de manière permanente un bateau-pompe sur le lac Union. L’Alki en a été le premier.

Les bateaux-pompes de Seattle ont toujours été bien connus des habitants et des commerçants. Un célèbre restaurateur, Ivar Haglund  du restaurant Ivar’s Acres of Clams, a même utilisé cette popularité pour illustrer une de ses publicités !

Le Grand incendie de 1889

Le grand incendie de Seattle en juin 1899
Le grand incendie de Seattle en juin 1899

Un pot de colle, en cours de réchauffement, a été renversé accidentellement dans un atelier de menuiserie du centre de la ville le 6 juin 1889. Alimenté par le bois de l’atelier le feu s’est rapidement propagé dut fait de la présence de copeaux sur le sol et la présence d’essence de térébenthine. Le service d’incendie, composé exclusivement de volontaires, est intervenu rapidement mais à ce moment-là la zone était si enfumée que la source de l’incendie n’a pas pu être localisée. Un magasin d’alcools, voisin de l’atelier, a été le siège d’explosions qui ont rapidement rendu hors de contrôle l’incendie.

L’approvisionnement en eau s’est avéré être un problème majeur dans la lutte contre l’incendie. À cette époque, l’eau était fournie par la Spring Hill Water Company, une entreprise privée. Les bouches d’incendie étaient trop éloignées du sinistre et les conduites trop petites, beaucoup étaient constituées de rondins évidés, dont plusieurs ont été détruites au cours de l’incendie. La pression obtenue était insuffisante pour que les jets des lances atteignent les étages des bâtiments…

Cet incendie, connu sous le nom de Grand incendie de Seattle a détruit plus de 25 pâtés de maisons et la quasi-totalité des docks. Peu de temps après un corps de pompiers professionnels a été créé, le réseau d’eau amélioré et un premier bateau-pompe a été mis en service.

Snoqualmie

Le Snoqualmie, du nom d’une tribu indienne de la région, est donc mis en service l’année qui suivit l’incendie de 1889. C’est le premier bateau-pompe de la Côte ouest de l’Amérique du Nord.

Conçu par l’architecte naval new-yorkais William Cowles, construit par Pacific Coast Engineering, c’est un navire à vapeur long de 30 mètres, à coque en bois, il pouvait distribuer plus de 21 000 l/min d’eau. Il évolue à une vitesse de 11 nœuds, environ 20 km/h.

Affecté à la cinquième compagnie des pompiers de Seattle, il est assisté par un engin d’accompagnement hippomobile. Celui-ci transporte des longueurs de tuyaux, des pièces de jonction, des raccords…
Au cours de son service sa chaudière à charbon est remplacée par une chaudière au fuel, ce qui lui vaut une évolution de sa silhouette puisque une seconde cheminée est installée.

Après sa dernière intervention à Seattle en 1927 il assure un service sur la Lac Union (Union Lake) au nord de la ville. Ce service est nécessaire car le lac n’est accessible depuis Seattle qu’après passage de plusieurs écluses, ce qui rallonge les délais d’intervention1Sa nouvelle affectation va avoir pour conséquence la diminution des primes d’assurance pour les armateurs de navires évoluant sur le lac Union !.

Le Snoqualmie va être ensuite utilisé comme cargo léger pour des navettes entre le lac et l’Alaska.

Le dernier incendie auquel il a dût faire face est le sien. Il brule en effet en 1976 au large de Kodiak, en Alaska.

Au début du XXème siècle les performances du Snoqualmie paraitront insuffisantes face à l’intensification des activités portuaires et au développement des docks et entrepôts. D’autant qu’un nouvel essor économique apparut suite à la ruée vers l’or de l’Alaska dès 1896 2Le navire SS Portland transporte la première cargaison , une tonne d’or !, depuis les banques du Klondike vers Seattle, en juillet 1897..

Duwamish

Un second bateau-pompe fût donc mis en service en 1909, le Duwamish, également du nom d’une tribu indienne mais aussi de celui de la rivière traversant la ville. Sa conception, ses dimensions et ses performances allaient contraster avec celles du Snoqualmie.

Long de 36.60 mètres, à coque métallique rivetée, il développait une puissance hydraulique de plus de 34 000 l/min, soit près du double de celle du Snoqualmie.

Conçu par l’architecte naval Eugène L. McAllaster, construit par un chantier naval de Seattle, Richmond Beach Shipbuilding Co., il sera très adapté à son périmètre d’intervention, les eaux du Puget Sound, de faible profondeur et très boueuses.
Ainsi le Duwamish n’est pas pourvu de quille externe, ce qui lui donne un fond plat et un faible tirant d’eau. Mais son originalité réside dans la forme et la fonction de sa proue : armée d’acier renforcé, d’une forme peu commune ressemblant à un museau, elle est en fait un heurtoir. Si le Duwamish ne pouvait contrôler un feu de navire, il pouvait alors le couler en le heurtant avec sa proue, les goélettes (Shooners) de l’époque étant généralement construits en bois. La faible profondeur des eaux permettait d’espérer une récupération des cargaisons.

C’est un navire à vapeur, équipé de quatre chaudières animant deux arbres d’hélices, prodiguant au navire une vitesse de 10,5 nœuds. Une vitesse modeste par rapport aux bateaux-pompes de New York, San Francisco ou Chicago de l’époque, l’architecte naval McAllister n’ayant pas retenu la propulsion, plus moderne, par moteur à turbines utilisée par ces derniers. Ce point est jugé peu gênant car le bateau-pompe est amarré au cœur de son secteur d’intervention et n’a donc que très peu de distance à parcourir pour atteindre les principales zones à risques.

Trois pompes American Lafrance à pistons, chacune d’un débit de 11 300 l/min, alimentent huit canons à eau de dimensions supérieures à la normale, trois à bâbord, trois à tribord, un à l’arrière et le huitième sur le toit du poste de pilotage. Un distributeur de refoulements permet d’établir 24 lignes de tuyaux !

Le Duwamish est utilisé pendant la Seconde guerre mondiale comme patrouilleur par les gardes-côtes puis rendu à sa fonction première à la fin du conflit.

A la fin des années 1940 les ingénieurs du service d’incendie jugent trop onéreuse la maintenance du navire. Sa faible vitesse devient problématique. Est donc décidée une profonde et importante remise à niveau. Les chaudières à vapeur sont remplacées par des moteurs diesel électriques issus de surplus de la marine américaine. La coque est reconfigurée, le heurtoir n’étant plus nécessaire car les navires secourus présentent alors des coques métalliques.

Des sorties latérales d’eau en pression sont installées sous la ligne de flottaison permettant une meilleure manœuvrabilité grâce aux poussées latérales qu’elles permettent.

L’hydraulique est également revue. Les pompes American Lafrance sont remplacées par des pompes De Laval qui permettent un débit de 22 800 gpm, soit plus de deux fois plus que les performances antérieures. Le Duwamish, prêt pour ses 35 autres années de service, est alors le bateau-pompe le plus puissant du Monde3Cette capacité hydraulique ne sera dépassée qu’en 2003 avec le bateau-pompe Warner Lawrence de Los Angeles! !

Après 75 ans de service le navire est mis la réforme en 1985. On pense alors à en faire un restaurant ou un musée… Il sera en fait acquis par la Fondation Puget Sound, qui en assure la préservation, et est amarré au musée maritime de Seattle (Marine Heritage Center). En Octobre 1986 il est déclaré monument historique par l’administration américaine.

L’incendie du quai du Grand Trunk Pacific

Au début du XXème siècle Seattle développe une activité de constructions navales et son trafic va encore croitre du fait de l’ouverture du Canal de Panama en 1914.

Le quai du Grand Trunk Pacific de Seattle est en feu
Le quai du Grand Trunk Pacific de Seattle est en feu

Ainsi de nouvelles constructions vont s’élever le long des Docks et en particulier le Grand Trunk Pacific, la plus grande structure en bois de la côte Pacifique : plus de 180 mètres de long soutenus par plus de 5000 piliers en bois créosoté ! Le tout sans protection incendie particulière ! Par exemple pas de compartimentation entre les constructions pouvant freiner la propagation d’un incendie.

Et ce qui devait arriver arriva. Le 30 juillet 1914 un très violent incendie se déclara. Ce sinistre provoqua le déclenchement d’une alerte générale chez les pompiers de Seattle, la première de leur histoire.

Bien évidemment les deux bateaux-pompes interviennent et leurs canons fonctionnent à pleins régimes pour abattre les flammes. La coque métallique du Duwamish devient si chaude, du fait de la chaleur radiante, qu’on ne peut la toucher ! Le navire évacue des pompiers pris au piège dont plusieurs sont sévèrement brulés. Le heurtoir de la proue sera utilisé pour abattre des piliers et donc des pans de murs en flammes qui menacent de s’effondrer.
Le sinistre fera six victimes dont un pompier.
Il faut noter que les constructions étaient en avancée sur les eaux et de ce fait l’incendie a été peu accessible par les forces terrestres. L’action des bateaux-pompes a donc été déterminante pour limiter la propagation du feu.

Alki

En 1927 le Duwamish et le Snoqualmie seront rejoints par l’Alki. Alki est le nom de la région historique atteinte par les premiers colons qui fondèrent par la suite Seattle.
Dessiné par W.C Nickum & Sons Company et construit à Oakland par Pacific Coast Engineering, il est long de 37.50 mètres.
Il est alors animé par pas moins de sept moteurs Winton six cylindres à essence de 300 cv. Trois d’entre-eux entrainent les trois arbres d’hélices et les quatre autres entrainent quatre pompes centrifuges Byron Jackson pour un débit total de plus de 45 000 l/min, soit un tiers de plus que le Duwamish. Il est équipé de 16 sorties de refoulements et porte neuf canons à eau : trois à bâbord, trois à tribord, un à l’arrière et un sur le toit du poste de pilotage. Le dernier est installé sur une tourelle dont la plateforme peut s’élever jusqu’à 12 mètres au dessus du niveau de la ligne de flottaison grâce à des vérins hydrauliques. Cette tourelle sera ultérieurement retirée.

Deux pompes d’épuisement supplémentaires Byron-Jackson, d’un débit de 3 800 l/min, animées par des moteurs à essence six cylindres Fordson permettent le sauvetage de navires avec voies d’eau.

En 1947, deux ans avant le Duwamish, l’Alki est re-motorisé avec deux moteurs diesel Generals Motors. L’hydraulique est revue : huit pompes Byron Jackson sont installées dont six animées par trois autres moteurs General Motors et deux autres animées par un moteur Westinghouse. Le navire est alors capable de débiter près de 60 000 l/min. Deux générateurs fournissent le courant électrique du navire.

En 2002 décision est alors prise de déplacer l’Alki de Seattle vers le port Fishermen’s Terminal à Salmon Bay, port de pêche mais aussi de plaisance avec pas moins de 600 navires et embarcations à protéger. Ce port est situé dans le Le canal maritime du lac Washington, qui traverse la ville de Seattle, relie la masse d’eau douce du lac Washington et du lac Union à la mer intérieure d’eau salée de Puget Sound.  Il s’agit de raccourcir les délais d’intervention vers les ports de ces lacs situés au nord et à l’est de Seattle, accessibles après passages d’écluses.

Le bateau-pompe est retiré du service en 2013 et mis en vente. Il aurait été démantelé en 2020 à Tacoma.

Chief Seattle

Au début des années 1980 Seattle a changé. Le béton a remplacé le bois sur les docks, la sécurité incendie s’est améliorée avec, par exemple, la généralisation des sprincklers…
La navigation de plaisance a fait son entrée avec l’installation de Marinas qui ont étendu les zones à défendre.
Aussi les services d’incendie font le constat que depuis les années 1960 les besoins nécessaires pour combattre les sinistres n’ont jamais été supérieurs à 28 000 l/min. Ils décident donc de remplacer le Duwamish par un navire plus polyvalent, plus rapide mais hydrauliquement moins puissant. Ce sera le Chief Seatle, long d’une trentaine de mètres, mis en service en 1984. Il est dessiné par Nickum & Spauling Associates Inc., successeurs de Nickum & Sons Company Inc. qui avait dessiné l’Alki !

Son nom a été proposé par les élèves d’une école élémentaire de Seattle qui ont , pour cela, gagné une balade maritime à sa mise en service !

Sa construction, par Nichols Brothers Boat Builders Inc. à Seatle, en aluminium allégé permet d’utiliser une machinerie moins puissante et donc plus économique. Trois moteurs diesel Detroit de 1 012 cv l’animent, commandés entièrement depuis le poste de pilotage, ce qui ne nécessitera plus la présence d’un ingénieur en salle des machines. Quatre sorties d’eau en pression près de la ligne de flottaison à bâbord et tribord , à l’avant et à l’arrière , permettent une meilleure manœuvrabilité grâce à leurs poussées latérales. Les deux sorties avant peuvent être utilisées pour atteindre les points bas de l’incendie (zones basses de docks par exemple). Le navire peut atteindre la vitesse de 20 nœuds, environ 37 km/h.

L’hydraulique est constituée de trois pompes Worthington d’un débit de 9 400 l/min chacune. Ces pompes sont animées par les moteurs de propulsion par un jeu de réducteurs sans altérer le déplacement ou la manœuvrabilité du navire.
Quatre canons à eau complètent cet équipement dont un sur une tour repliable de 14 mètres pouvant être dressée par un système de pression d’eau.

Le navire embarque une réserve de plus de 3 000 litres de liquide émulseur pour la production de mousse.

En 2013 la navire est modernisé par Vigor Marine: remplacement des moteurs (deux moteurs diesel au lieu de trois,  MTU de 1 552 cv), des pompes à incendie (quatre pompes au lieu de trois,  Hale d’un débit de 9 500 l/min chacune), des hélices et leurs arbres (deux hélices au lieu de trois), le bateau de secours embarqué… Les travaux portent également sur les superstructures, le poste de pilotage, la modernisation des instruments de navigation et de communication…

Sa réserve en liquidé émulseur est augmentée de 380 litres.

La salle de réception et de soins des victimes est modernisée. Le pont dégagé permet une libre circulation autour des superstructures et est donc plus adapté à la prise en charge de victimes depuis les navires secourus. Une rampe permet un accès rapide à la salle de soins depuis le pont.

Fireboat 1 & Fireboat 2

Fast Attack Boat Fireboat 1
Fast Attack Boat Fireboat 1

En 2006 est mis en service un bateau-pompe de « première intervention » (Fast Attack Boat) de gabarit, de capacité hydraulique moindres que ses prédécesseurs mais plus rapide. Dessiné par Jensen Maritime Consultants, construit par MetalCraft Marine, Ontario, Canada, il est long de 15 mètres. Il est propulsé par jet d’eau (water jet) et un moteur diesel, il file à une vitesse supérieure à 30 nœuds (55 km/h environ). Il est baptisé Fireboat 1.

Son équipement incendie est constitué de deux pompes Hale d’un débit total de plus de 22 000 l/min, de quatre lances-canons, de deux sorties de refoulement et une réserve de 760 litres de liquide émulseur.

Le navire peut répondre à des interventions chimiques, radiologiques, nucléaires, biologiques ou en environnement déflagrant.

Il remplace systématiquement les bateaux-pompes de Seattle lorsque ceux-ci sont en maintenance.

Un second bateau-pompe identique, Fireboat 2, est mis en service en 2014.

Leschi

Le dernier arrivé à Seatle est le Leschi en 2007. Long de 33 mètres, il déplace plus de 300 tonnes à une vitesse de 14 nœuds (26 km/h). Il peut mettre en œuvre quatre pompes à incendie d’un débit de 19 000 l/min chacune.
Son nom, conformément à la tradition, est le nom d’une tribu indienne. Deux moteurs diesel assurent la propulsion tandis que deux autres animent les quatre pompes Moss à incendie. Le navire est équipé de propulseurs d’étraves lui permettant une meilleure manœuvrabilité ou mises en station lors d’interventions.

Il est équipé d’un bras élévateur articulé de 17 mètres lui permettant d’accéder par exemples à des porte-conteneurs.

Une autoprotection contre la chaleur rayonnante peut être mise en œuvre sous la forme d’un brouillard d’eau environnant le navire.
Un moteur diesel John Deere alimente un générateur fournissant le courant électrique du bâtiment.

Le navire porte une réserve de 23 000 litres de liquide émulseur pour produire de la mousse.
Toutes les commandes, celles liées au pilotage comme celles des équipements incendies sont centralisées au poste de pilotage.

Il embarque deux bateaux de secours sur le pont arrière pouvant rapidement être mises à l’eau grâce à une rampe inclinée.

Grâce à ses équipements,  il peut répondre à des interventions chimiques, radiologiques, nucléaires, biologiques ou en environnement déflagrant.
Grâce à son informatique embarquée et ses moyens de transmissions Il peut, en outre, être transformé en poste de commandement, c’est-à-dire centre d’évaluation des sinistres et de prises de décisions opérationnelles.

Une collection de photographies

Notes

Notes
1 Sa nouvelle affectation va avoir pour conséquence la diminution des primes d’assurance pour les armateurs de navires évoluant sur le lac Union !
2 Le navire SS Portland transporte la première cargaison , une tonne d’or !, depuis les banques du Klondike vers Seattle, en juillet 1897.
3 Cette capacité hydraulique ne sera dépassée qu’en 2003 avec le bateau-pompe Warner Lawrence de Los Angeles!